mardi 18 août 2015

La certification halal pour unir circuit-court et préférence nationale ?


La certification halal pour unir circuit-court et préférence nationale ?

 

La récente reconduction de la certification halal du sirop de Liège a provoqué quelques commentaires rappelant que ce sirop était un produit bien ancré dans la tradition wallonne et qu’il n’avait pas à se plier à des diktats religieux[1]. Aussitôt ces propos ont été qualifiés d’islamophobes par d’autres. Il nous semble que ce débat ne conduit pas très loin. Par contre il nous semble pertinent de nous intéresser à cette « certification halal »,  en s’interrogeant sur sa propre « halalité », en examinant sa justesse politique et en la mettant en relation avec les concepts de « circuit court » et de « préférence nationale ».

La certification halal d’un objet signifie « tout simplement » que cet objet est permis pour le musulman, ni plus, ni moins. Autrement dit, il répond à des prescrits religieux définis par la communauté musulmane. Le caractère halal s’applique également aux comportements, politiques...  Pour un commerçant, il est utile de vendre des objets halal puisque son marché potentiel s’agrandit. L’Etat rencontre un intérêt économique similaire : cela lui permet de réduire ses importations et d’augmenter ses exportations, ce qui est avantageux.
Mais…
Economiquement, l’opération peut s’avérer risquée si l’attribution du label génère une perte de clientèle non comblée par le nouveau marché. Ou si les frais inhérents à la certification rendent les produits moins concurrentiels.
La levée de boucliers virtuels qui a entouré la re-certification halal du sirop de Liège aura sans doute un impact sur les ventes locales mais nous sommes incompétents pour en juger. Par contre, en termes idéologiques, il nous semble intéressant d’examiner la réaction à cette opposition[2].

La certification halal est-elle halal ?

Le patron de la siroperie, surpris par la contestation, ne voyait lui dans sa démarche qu’une méthode pour mieux s’implanter dans certains pays. D’ailleurs, pour lui : « cela n’a rien de religieux : nos produits sont hallal par définition. »[3] Une déclaration qui nous semble extrêmement problématique, un peu comme pourrait l’être l’affirmation : « le label bio n’a rien à voir avec l’écologie ».
En effet l’une des caractéristiques de la certification halal est bien, en plus d’une série de critères à respecter, la présence d’un représentant religieux. La décision qui est prise relève clairement d’une religion. Le nier, c’est mépriser le consommateur qui lui s’inscrit dans une quête religieuse. En fait, les propos du responsable mettent simplement en évidence que le certificat halal est une formalité administrative pour augmenter ses parts de marché. La question que l’on pourrait alors renvoyer à l’instance musulmane qui statue sur ce certificat est la suivante : instrumentaliser l’islam de la sorte pour le transformer en outil commercial, est-ce, en soi, halal ?

Cette certification halal pose d’autres questions. Cette fois par rapport au rôle de l’Etat. Nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer (voir notamment notre article sur lesDiables Rouges), l’Etat moderne est construit sur la neutralité, principalement par rapport aux religions (la séparation Etat – Eglises). A contrario, l’existence d’un certificat halal (ou kasher ou de n’importe quelle autre religion) introduit un jeu trouble entre les communautés religieuses et l’Etat. Comment l’Etat choisit-il le bon certificateur sans, d’une façon ou d’une autre, choisir telle tendance religieuse par rapport à telle autre ? Un produit certifié halal par tel imam le sera-t-il par tel autre ? Tous les rabbins ont-ils la même définition de ce qui est ou pas permis ?  Comment donc l’Etat, en restant neutre, pourrait-il désigner celui qui décidera ? Ou même, plus modestement, en faire la promotion ? De plus, il existe aussi un effet sur les croyants eux-mêmes : en quoi un Etat est-il habilité à interpréter, même indirectement, un texte sacré pour leur imposer sa vision plutôt qu’une autre ?
Ici aussi certains argueront que cela importe peu si, au final, les ventes augmentent et donc l’emploi. L’intérêt économique est-il supérieur à l’impératif de neutralité d’un Etat ?

Circuit-court et préférence nationale : même combat ?

Mais ce qui a suscité les remarques les plus virulentes, c’est l’opposition entre le caractère traditionnel de ce sirop et sa certification halal[4]. Il nous semble pertinent de noter à ce sujet le caractère paradoxal de cette contradiction.

D’une part le caractère traditionnel participe à une forme de nationalisme. Depuis des dizaines d’années, le sirop de Liège fait partie du paysage des autochtones. C’est un élément fédérateur autour duquel les gens de la région peuvent se rassembler. Il s’est érigé en symbole.
Toucher à un symbole, ce qui peut être assimilé à un blasphème, peut provoquer des réactions irrationnelles et/ou virulentes. Blessés dans leur intimité, certains ont ressenti la certification halal comme une agression. Peut-être ce sentiment et la violence des réactions sont-ils très différents si l’on parle d’une certification destinée au marché intérieur plutôt qu’à celui de l’exportation. Nous ne voulons pas entrer dans ce débat, nous nous contenterons de mobiliser le terme de « préférence nationale », déclinée ici dans une variante de « défense du territoire » qui désigne l’inclination de certains autochtones à s’opposer à la reconnaissance halal au nom de la tradition locale.
D’autre part, nous aimerions apporter un autre élément de réflexion en examinant l’autre bout de l’échiquier politique habituellement défini : entrons dans l’univers idéologique du développement durable, de l’alter-mondialisme et de… l’anti-capitalisme.  De ce côté aussi, la certification halal défendue par l’AWEX[5], devrait être conspuée. Premièrement car elle s’écarte immanquablement du concept de « circuit-court ». Ce dernier, pour rappel, veut que la vente d’un produit s’effectue avec un intermédiaire au maximum entre le producteur et le consommateur.
Ensuite, elle est basée, comme nous l’avons vu, sur des enjeux commerciaux. Et l’on pourrait même affirmer (en se fiant, par exemple, aux propos du patron de la siroperie) : purement commerciaux (ce que d’aucuns nommeront capitalisme).

Ce qui nous permet de poser cette dernière question qui nous semble éclairer le fond de la polémique : et si, dans cette affaire, les frères ennemis se retrouvaient objectivement sur la même ligne idéologique ?  « préférence nationale » et  « circuit-court » pourraient-ils être deux facettes de la même motivation ?




[1] La situation est clairement résumée dans cet article du Courrier International : http://www.courrierinternational.com/article/belgique-pas-de-panique-le-sirop-de-liege-etait-deja-halal-la-salade-aussi

[2] Pour information, La Libre laisse entendre que certaines de ces réactions pourraient être téléguidées par la concurrence, mais ce n’est pas l’objet de notre propos. http://www.lalibre.be/actu/belgique/sirop-de-liege-le-marche-du-halal-continue-de-cristalliser-les-polemiques-55ca21d73570b54653389c9f
[3] http://aubel.blogs.sudinfo.be/archive/2015/08/08/le-vrai-sirop-made-in-aubel-desormais-certifie-pour-le-march-158459.html
[4] Voir par exemple l’attitude de l’ancien chef de file MR verviétois qui rapporte son pot de sirop à la siroperie: http://www.lameuse.be/1351896/article/2015-08-11/sirop-de-liege-halal-scandalise-l-ancien-chef-de-file-mr-vervietois-ramene-son-p
[5] Il s’agit évidemment de viser le marché international, ce qui s’effectue rarement sans intermédiaires : http://www.clubhalal.be/fr-accueil.html

jeudi 6 août 2015

Et s’il mesurait plutôt le plafond de son musée ?




Et s’il mesurait plutôt le plafond de son musée ?

Rappel des faits : la statue « L’homme qui mesure les nuages» est placée sur un très beau point de vue de la Citadelle de Namur. Il y a peu, on  a gravé un discret « W » au pied de l’œuvre. Conséquence immédiate : les assureurs ont imposé que le lieu soit interdit au public. La presse a parlé de vandalisme et/ou de geste idiot. Placer des œuvres dans un espace public, c’est prendre des risques : exposer, c’est s’exposer. Mais interdire ensuite cet espace au public, pour des raisons financières, qu’est-ce ? N’y a-t-il pas dans ce repli la signature d’une double réalité plus profonde : la sacralisation non assumée et l’argent omnipotent?  


Nous avons déjà eu l’occasion dans notre article « Le Tricot urbain : de l’art citoyen ? »[1] d’évoquer la question de tricots, exposés dans les lieux publics, qui avaient été dégradés par des inconnus. Nous restons dans un registre similaire. Cette fois, dans le cadre d’une manifestation clairement artistique, un créateur de renom expose des œuvres, directement accessibles dans l’espace public : pour rapprocher la population de l’art, dans un esprit pédagogique ou citoyen... Le public s’est emparé du lieu, comme le prouvent les photos qui ont fleuri sur internet. Et un beau matin, on découvre un « W » gravé au pied de l’œuvre. Subitement tout ce bel édifice s’écroule : le site est fermé[2].
Voyons cela en détails. L’offense tout d’abord :  le « W ».  Un geste idiot ? Idiot au point d’avoir formé par hasard un « W » ? Nous postulerons que celui (ou celle) qui a gravé le « W » n’était pas un fou et qu’il voulait exprimer un message. Si vous pensez qu’il est fou, ce qui est très commode au demeurant, nous vous invitons à vous interroger sur le sens de ce terme[3]. Que peut donc signifier ce « W » ? Les trois hypothèses les plus réalistes : une preuve d’amour (pour William, Walter…), un acte politique (à revendication communautaire ?) ou un défi culturel. Nous retiendrons cette dernière possibilité, même si elle est inconsciente. En dégradant l’œuvre, n’y a-t-il pas comme une réponse, par l’absurde peut-être, à l’intention proclamée des organisateurs de rendre l’art plus proche des gens ? Nous utiliserons le terme de désacralisation au sens où le sacré[4] est ce qui est coupé du monde, ce qui est placé dans une dimension intouchable que l’on ne peut plus atteindre sans une série de codes, au risque de commettre un blasphème. Le musée est le lieu qui protège les objets devenus sacrés. Un cérémonial est nécessaire pour avoir le privilège d’y entrer, aussi bien pour les œuvres que pour le public, et des gardiens protègent le temple.
Sortir l’œuvre d’un musée pour la mettre en rue, c’est prendre le risque de la désacralisation. Cela nécessite une approche différente de l’art. Et il faut en assumer les conséquences. L’artiste doit comprendre que son oeuvre n’est plus sacrée. Elle redevient un objet parmi de nombreux autres objets. Un objet que l’on peut apprécier, que l’on peut même admirer, mais dont on peut aussi se servir et qui risque donc de se dégrader. D’ailleurs l’acte de sortir l’œuvre du musée peut être perçue, en soi, par certains comme une dégradation. Face à cette nouvelle réalité, l’artiste peut se résoudre et accepter les outrages du temps, il peut aussi utiliser des copies ou bien il peut tenter de re-sacraliser l’œuvre. Autrement dit, effectuer un retour à la case musée. Mais il doit être bien clair que ce n’est pas l’acte de dégradation qui sera responsable de la re-sacralisation.
L’impression que nous laisse la réaction de l’organisateur est celle-ci : « nous affirmons que nous sortons l’oeuvre du musée mais en réalité nous étendons le musée dans l’espace public. Car nous n’assumons pas les conséquences qu’implique un contact direct avec la population. » Autrement dit : vous ne voulez pas venir au musée ? Le musée viendra à vous, mais il gardera ses règles.  
Cette réaction est compréhensible car elle vise à protéger des créations artistiques, c’est-à-dire un travail qui touche à l’intimité profonde du créateur. Toutefois, dans le cas présent, un élément supplémentaire perturbe notre réflexion. Si l’organisateur n’assume pas, par contre il assure. L’argent s’invite ici dans l’équation. D’après ce qui a été dit à la presse, le site est aujourd’hui inaccessible pour répondre aux exigences des assureurs. Si l’on re-sacralise « L’Homme qui mesure les nuages », c’est au nom de l’argent. Non seulement, l’organisateur n’assume plus la désacralisation de l’œuvre mais il n’assume pas non plus la re-sacralisation. Il présente le « W » comme un acte de vandalisme montrant que le public n’a rien compris et se cache derrière les diktats des assureurs. Et ainsi est exposé d’une part le fossé réel entre le public réduit à un rôle de consommateur inactif et d’autre part le rôle prépondérant de l’argent dans l’art. Etait-ce l’objectif de la manifestation ?
En attendant tous les visiteurs de la Citadelle sont privés d’une vue exceptionnelle sur le Vieux Namur et l’ « Homme qui mesure les nuages » n’est plus visible que de très loin. Et s’il retournait au musée ?






  Actuellement, le visiteur devra s'arrêter ici (photo du 6/08/2015)


[2] http://www.lesoir.be/953557/article/actualite/regions/namur-luxembourg/2015-08-04/namur-l-expo-rops-fabre-victime-son-enorme-succes
[3] Par exemple, avec QUETEL Claude « Histoire de la folie : De l’Antiquité à nos jours »,  Editions Tallandier, 2012. (http://www.amazon.fr/Histoire-folie-lAntiquit%C3%A9-nos-jours/dp/2847349278/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1438853367&sr=8-2&keywords=histoire+de+la+folie )