mardi 13 septembre 2022

L'invitation riante au dialogue de Mbappé

 


L'invitation riante au dialogue de Mbappé




Je suis interpellé par les réactions de mes relations Linkedin suite à la conférence de presse de l’entraîneur et d’un célèbre joueur de foot d’un club parisien. Les deux compères, heureux d’avoir gagné leur match, sont invités à rendre des comptes sur le fait qu’ils ont emprunté l’avion plutôt que le TGV. Ils répondent alors, hilares, qu’ils envisagent d’utiliser le char à voile. Cette blague, peu inspirée, est ressentie par certains comme une violence. Elle fait ensuite l’objet de critiques acerbes, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. 

J’ai été interpellé car il me semble que l'avalanche de déclarations outrées ne sert malheureusement pas la cause verte.  Je vais tenter d’expliquer pourquoi en abordant la situation sous l’angle de la communication, par la question du public-cible, et sous celui de la philosophie, par le concept du critère moral.


Mais avant cela, il est essentiel de se souvenir que la liberté d’expression est ancrée dans  les fondements de nos démocraties libérales. Cette liberté assure la possibilité, à ceux qui le souhaitent, de montrer leur désaccord, voire leur profonde désapprobation. Cette liberté s'applique aussi aux joueurs de football qui formulent des blagues, bonnes ou foireuses. Vouloir faire taire quelqu’un sous prétexte de l’urgence climatique constitue, en soi, un risque majeur pour nos démocraties. Certaines personnes assimileront  peut-être ce dilemme à une variante du choix entre la peste et le choléra. J’opte pour la liberté d’expression. Par ailleurs, mon objectif est de proposer des pistes pour rendre le débat possible en renonçant aux appels au pugilat. 

La situation présente deux pôles. D’un côté, les deux sportifs n'ont pas saisi la perche tendue par les journalistes. Une autre attitude aurait pu aider à favoriser la transition écologique. De l’autre côté, le tumulte des indignations après la conférence de presse du PSG fédère sans doute les convaincus de l'urgence climatique. Nous allons insister sur ce pôle car il noie, selon nous, deux éléments essentiels à l'émergence d'une action efficace.


D'une part, en s'acharnant sur les imprudents blagueurs, la meute des mécontents  propage-t-elle la cause qu'elle prétend défendre ?  Reprenons au début. Voilà deux héros heureux, qui viennent de faire rêver une multitude de fans en gagnant un match. Ils se présentent en conférence de presse et se retrouvent piégés, légitimement bien sûr mais piégés tout de même, par une question embarrassante.  Les deux sportifs tentent de l’esquiver sans maîtriser l'art oratoire et se vautrent dans une plaisanterie très peu sentie. A titre de comparaison : que dirions-nous si, le jour où nous recevons un diplôme sanctionnant une longue formation, quelqu'un nous demandait si nous avons conscience du nombre d'arbres abattus pour imprimer nos livres de cours ? Certes, comparaison n’est pas raison. Les deux footballeurs, eux, ont voyagé en jet privé et il peut sembler logique, surtout si l’on ne connaît pas les impératifs du foot contemporain, d'affirmer qu'ils auraient pu prendre le TGV pour un trajet aussi court. Toutefois le choix du moyen de transport relève-t-il de leur liberté? Qui d'entre nous impose les contraintes logistiques à son employeur ? Soyons de bonne foi, la célébrité de ces joueurs leur permettrait peut-être de choisir leur propre moyen de transport. Y ont-il seulement pensé ? Nous l’ignorons. Les deux sportifs auraient pu, à ce moment, dribbler et proclamer une vague promesse. Mais ils ont opté pour la blague. Le champagne et la bière, respectivement dans la pièce à côté et dans les bistrots parisiens, coulent à flots car on fête la victoire. Les deux footballeurs ne s’adressent pas aux journalistes, ni à ceux qui vont aussitôt les critiquer, ils s’adressent aux fans, à la vitesse du… TGV. Est-ce pertinent pour l’écologie de tendre le piège à ce moment et de railler ensuite la réponse ? Les deux sportifs ont-ils été placés face à une perche ou à un bâton?

Nous pensons qu’un élément fondamental de la communication a été oublié : le public cible. Pour communiquer efficacement, il faut comprendre la cible, en l’occurrence les fans galvanisés par la victoire, et y adapter son discours. Revenons à la comparaison de la remise des diplômes. Imaginons que le père du récipiendaire prononce, lors de la fête du soir, un discours principalement axé sur les vertus des chambres bien rangées. Ses propos, aussi justes soient-ils, seraient-ils audibles à ce moment ? 


D'autre part, conspuer le voyage en jet parce qu'il participe au dérèglement climatique, sans autre précision, présente un risque majeur pour celui qui prétend vouloir communiquer la bonne parole verte. En effet, dans quelle mesure le reste du match n'est-il pas davantage nocif pour l’environnement que le finalement très court voyage en jet ? Expliquons: combien de voitures et de cars ont-ils été nécessaires pour emmener les supporters au stade et dans les tavernes ? Quelle énergie électrique a-t-elle été utilisée pour filmer, transmettre et ensuite regarder le match ? Si l’objectif est de sauvegarder de façon urgente notre climat, alors au nom de quoi ne faut-il pas, tout simplement, interdire le match lui-même ? Ne serait-ce pas plus logique ? Ce qui se cache derrière cette question, bien sûr, c'est le rapport intime, physique, indissociable entre l'activité humaine et la dégradation de l'énergie. Se contenter de s’indigner devant le voyage en jet de ces deux footballeurs permet, au passage, d'évacuer cette très encombrante problématique. Pour nous résumer: il manque un critère de détermination de ce qui est acceptable. 

Et ce critère, en démocratie, ne peut être construit qu’avec, au minimum, la consultation des membres de la communauté qui vont devoir l’appliquer, avant son introduction dans le dispositif réglementaire et/ou législatif. Des pistes de discussions sont possibles. Par exemple en se souvenant que le football n’a pas toujours été aussi gourmand en nombre de rencontres.  L'élaboration de ce critère moral nécessite de mobiliser le public-cible du football et pour y parvenir facilement, le footballeur rieur pourrait être un messager de choix...


C'est pourquoi nous pourrions voir le rire du footballeur, presque enfantin, sous la forme d'une question : "Si vous nous interdisez aujourd'hui un voyage en jet, qu'interdirez-vous ensuite ? Le football lui-même ? Comment pouvez-vous croire que le monde pourrait vivre sans foot ?".  A cause de l'urgence, ceci doit être vu comme une invitation non à la rigolade ou au mépris, mais au dialogue.


FX.HEYNEN

Septembre 2022