dimanche 15 décembre 2019

Communication publique, vérité et fracture numérique


La communication publique : pour la vérité, contre la fracture numérique


Face aux fake-news, les institutions publiques doivent continuer à diffuser des informations et à être entendues car elles transmettent la Loi. Et elles sont tenues de les transmettre à tous les usagers. Des communicateurs publics sont en charge de cette mission. Mal connus et mal reconnus n’oeuvrent-ils pourtant pas, d’une part à maintenir une vérité d’une haute qualité face à la tempête du relativisme?  Et d’autre part à préserver les liens avec personnes fragilisées, en évitant la fracture numérique. Et si la démocratie parlementaire leur accordait enfin les moyens de mener à bien cette double quête ?

Délimitons d’abord la profession dont il est question ici. En Belgique francophone, la communication publique désigne la discipline qui transmet des informations émises par une instance publique à la destination d’un groupe de citoyens.

Une vérité solide

Cette information initiale présente donc le mérite de reposer sur une assise solide puisqu’elle a été forgée dans un creuset démocratique, souvent une assemblée législative ou, éventuellement, une autorité politique mais pour des décisions prises dans le cadre de son mandat exécutif.  La communication promotionnelle du politicien ou de son parti, que d’aucuns qualifieront de propagande, relève de la communication politique, qui constitue une autre discipline.
Cette information à émettre est par ailleurs consignée dans le Moniteur Belge ou dans les procès-verbaux d’instances officielles, ce qui autorise une validation rigoureuse via des recoupements critiques par chaque citoyen qui le souhaite.
D’autre part, la communication publique s’adresse à des citoyens, pas à des clients et elle ne cherche pas à vendre mais à informer et/ou à favoriser des comportements visant l’intérêt général. Elle ne peut donc pas être suspectée de marketing
Nous oserons qualifier cette information initiale de « vérité ».  Transmise par les communicateurs publics, cette « vérité »  profite d’arguments valables à opposer à  la « post-vérité ». C’est une information authentiquement citoyenne qui peut être vérifiée par tout un chacun, dont l’émetteur est connu et doit rendre des comptes et qui n’entre pas dans le cycle du profit.

Précarité et fracture numérique

Les communicateurs publics sont aujourd’hui, dans cette mission, régulièrement  confrontés à un une problème dont peu perçoivent l’ampleur : l’inégalité de traitement engendré par la fracture numérique. Les technologiques modernes offrent des facilités indéniables pour assurer des transmissions d’informations à grande échelle. Ces nouveaux moyens se présentent souvent comme plus écologiques (le remplacement d’une brochure par un site web par exemple) et plus économiques. Les budgets ont donc tendance à les favoriser. Cette fascination peut escamoter une évidence : une grande partie de la population précarisée ne dispose pas d’un accès efficace à ces nouvelles technologies. Pour le secteur privé cette fracture numérique ne constitue pas un problème puisque ces personnes ne deviendront pas des clients. Sur ce point la communication publique et la communication du secteur privé divergent fortement. Certaines techniques venues du secteur privé pourraient donc s’avérer peu productives, voire même néfastes pour l’usager  qui se trouve de l’autre côté de la fracture numérique. Les stratégies communicationnelles publiques doivent prendre en compte cette réalité. Une simplification administrative par le recours aux ordinateurs doit donc se penser simultanément à la création (ou au moins à la préservation) de canaux de transmission humains.

Peu (re)connue

Forte de ces atouts, la communication publique est pourtant fragilisée. Elle demeure très peu reconnue en Belgique francophone : par le public, par ses propres acteurs et par ses commanditaires.


                        
Le grand public connaît assez mal les communicateurs publics car leur rôle est souvent médiatiquement effacé, à l’exception des porte-parole. Les communicateurs publics se sentent parfois isolés ou désignés par défaut à cette fonction, pourtant essentielle. C’est pourquoi  une association professionnelle, WBCom, agit depuis de nombreuses années pour favoriser leur formation continue. Des cours spécifiques sont dorénavant donnés dans les universités et les hautes écoles. La communauté professionnelle se structure. C’est un début prometteur mais cela ne suffira pas.

Il est sans doute temps d’aller plus loin et d’inscrire la discipline dans une véritable reconnaissance sociétale. Trois voies sont ouvertes.
 
Trois voies vers la nouvelle vérité

La première piste suppose la constitution d’un code déontologique, à l’instar de ce que l’Association Belge de la Communication Interne (ABCI) a déjà réalisé. Le communicateur public porte une responsabilité importante et il est indispensable que son action soit balisée par un cadre déontologique.
Si un effort doit venir des communicateurs eux-mêmes, d’autres mesures doivent être prises au niveau sociétal. Il ne faut pas se voiler la face, le communicateur public est soumis à de fortes pressions. Dans le chef de nombreux politiciens ou autres responsables de service, la distinction entre information et propagande n’est pas extrêmement claire. Des  actions de communication sont régulièrement perturbées par des comportements qui confondent l’intérêt général et les avantages que certains peuvent en tirer. Le cadre légal ne protège pas le communicateur public contre sa propre hiérarchie lorsque cette dernière dérape. Ce sont les deux dernières pistes que nous préconisons : d’une part que la description de fonction professionnelle du communicateur public soit adaptée à l’importance de sa mission et d’autre part que sa profession puisse être défendue par un Ordre officiellement reconnu.
Cette dernière piste peut paraître surprenante dans la mesure où un Etat moderne se caractérise par une méfiance constitutive à l’égard des corporatismes. Une telle association nous semble toutefois nécessaire pour unir les forces pour défendre la neutralité de l’Etat et  pour offrir une réponse démocratique solide aux ravages de ce que certains nomment parfois la post-vérité mais aussi à ceux de la ségrégation engendrée par la fracture numérique.
François-Xavier HEYNEN
Administrateur WBCOM

jeudi 5 décembre 2019

Le vrai cadeau de saint Nicolas


Le vrai cadeau de saint Nicolas

 
Voici donc revenu saint Nicolas et avec lui son cortège de commentaires et de critiques. Le personnage ferait peur aux enfants, il devrait enlever sa croix ou sa canne, et ne parlons même pas du Père Fouetard. Nous aimerions ici  développer une approche en insistant sur un point souvent omis: à la fin de l’histoire, saint Nicolas perd sa barbe. Toujours. Et ce moment, qui peut être traumatisant, constitue le véritable rite de passage, bien plus que la distribution des bonbons.  Saint Nicolas offre ainsi de beaux cadeaux aux enfants devenus grands. Nous allons convoquer Platon et Nietzsche pour expliquer comment.

Mon premier souvenir de saint Nicolas est associé au salon familial. Devant le divan, il y avait une porte à deux battants. Celui de gauche s’ouvrait et un bras ganté de blanc en sortait. Une grosse voix  inconnue, mais qui devait venir de Haut, énonçait mon prénom ou celui de mon frère. Celui qui était désigné devait se lever pour aller chercher le cadeau. Ce n’était pas traumatisant. Cependant, je n'aurais jamais osé ouvrir cette porte qui conduisait au bureau de mon père. Cette pièce était coupée de la réalité, elle devenait sacrée, le temps de la cérémonie. 
J’ai sans doute vu saint Nicolas, au loin, dans les rues du village. En classe, j’ai eu peur lorsque j’ai du jouer de la flûte pour lui et le reste de mes condisciples. J’ai été heureux de chanter pour lui, les « prières » que nous connaissions tous, et de recevoir de ses mains le premier pull-over de mon club de judo. Je ne reconnaissais aucune voix, pas même celle de mon père qui ne portait la barbe que le 6 décembre.

Puis, bien sûr, vient le moment inéluctable où la barbe blanche tombe. En ce qui me concerne, je ne me souviens ni quand ni comment. Mais la page était tournée. Irrévocablement ?
Je suis devenu professeur, j’offre des bonbons à mes élèves le 6 décembre. Je suis devenu papa, j’ai déposé des cadeaux pour mes enfants et je me suis régalé de leurs sourires. Je perpétue la tradition, sans trop y réfléchir. Ce n’est que récemment que j’ai compris sa puissance de métaphysique appliquée. 


Platon


Ainsi, pour expliquer l’allégorie de la caverne de Platon, je fais référence à saint Nicolas. Dans cette métaphore antique, des gens sont enfermés et attachés dans le fond de la caverne et ne voient que des ombres sur la paroi. Ils sont convaincus qu’il s’agit là de la réalité. L’un d’entre eux se détache. Après une période d’acclimatation, il sort de la caverne, découvre le monde extérieur et change sa vision du monde. Puis il revient dans la caverne et décrit son expérience à ses camarades d’infortune en les invitant à le suivre. 
Les étudiants comprennent assez vite que l’homme qui s’échappe symbolise le philosophe. Cependant ils admettent plus difficilement que nous sommes tous, eux y compris, susceptibles d’être attachés dans cette caverne. C’est ici que saint Nicolas apporte son aide. Car ceux qui y ont cru saisissent vite la possibilité d’une part d’être victime de l’illusion et d’autre part de l’effort nécessaire pour s’en extraire.  Ils ont vécu cette période d’acclimatation, la barbe qui tombe, qui se traduit, chez Platon, par une douleur dans les yeux lors du premier contact avec la lumière du jour. Saint Nicolas offre cette aide pédagogique. 

Le rite du passage


Mais il y a plus. Quand la barbe tombe l’enfant est invité à s’intégrer dans une communauté plus large. A l’école il fera partie de ceux qui savent, de ceux qui ont dorénavant le pouvoir de transmettre l’émotion et la bienveillance. Il est détenteur d’un secret qui ne trouve son sens que dans un groupe complice dont il est dorénavant l’un des membres. Il a probablement vécu une désillusion mais elle peut se transformer  en une ressource pour l’avenir. Et cela me semble l’un des véritables apprentissages qu’offre saint Nicolas.  Peu importe qu’il porte une barbe ou une croix, l’enjeu ne se situe pas là. Il existe bien un rite de passage, non confessionnel, offert à tous.

Un rite anti-rituel


Pourtant il nous semble y avoir un enjeu religieux ou plus précisément dogmatique, dans le prolongement de la caverne de Platon. Nous l'avons vu, la rencontre avec saint Nicolas est un moment sacré: chants incantatoires, trône, formes rituelles… La communauté crée une sacralisation qui va permettre aux plus jeunes, pour lesquels le rituel est mis en place, de développer une croyance, l’espace de quelques années. Ensuite viendra, immanquablement, la désacralisation. Le grand barbu n’était pas et n’a jamais été un être magique. Saint Nicolas est mort. Et il convient ensuite de dépasser ce petit drame. La barbe tombée n’entraine pas l’apocalypse ou la fin des temps, le monde continue à tourner. Et il peut même mieux tourner puisque la communauté de bienveillance s'est accrue. 
Et voici le second apport pédagogique, cette fois en rapport avec Nietzsche: la mort de saint Nicolas ouvre une porte conceptuelle vers la mort de Dieu. Admettre la mort de Dieu, et donc de toutes les valeurs traditionnelles, constitue une "terrible conquête pour un esprit patient et respectueux." Dans "les trois métamorphoses de l'Esprit", c'est dans ces termes que Nietzsche désigne la métamorphose du lion, étape essentielle vers celle de l'enfant qui "... veut maintenant sa propre volonté, celui qui a perdu le monde veut gagner son propre monde" ("Ainsi parlait Zarathoustra").

Nietzsche

Ainsi, la tradition de saint Nicolas est profondément iconoclaste contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord. Il ne peut pas y avoir de religion dans le saint qui arpente les rues pour distribuer des bonbons tout simplement parce qu’il est voué à être détruit. Non seulement, pour rejoindre Marx, il est invention humaine, mais en plus il va disparaitre. La tradition de saint Nicolas est un mélange de « L’homme a créé Dieu » et de « Dieu est mort ». Les dogmatiques en tous genres n’aimeront pas saint Nicolas car il est celui qui permet de renverser la Table des Valeurs. Saint Nicolas n'apprend pas la religion, il la menace profondément. Les symboles qui figurent sur lui sont voués à disparaitre avec la chute de sa barbe. Ainsi enlever la croix de sa mitre est presque une bénédiction pour les Chrétiens. Remarquons que les publicitaires ne placent pas leurs logos sur saint Nicolas. Ce dernier est une icône conçue pour être... détruite. Les défenseurs de saint Nicolas sont donc de faux iconophiles et de vrais iconoclastes. Mais que sont les pourfendeurs de saint Nicolas ? De vrais iconophiles et de faux iconoclastes ?

François-Xavier HEYNEN
www.philofix.be