mercredi 8 août 2018

La morale des Indestructibles est-elle compatible avec la modernité humaniste ?


La morale des Indestructibles est-elle compatible avec la modernité humaniste ?


A l'issue de la projection du deuxième opus des Indestructibles, divertissement familial particulièrement agréable, la question se pose : quelle peut bien être la morale défendue par le film ? La créativité et la liberté de penser y sont dénigrées au profit d'une fascination pour les vertus du commerce et de la soumission à la puissance d'une caste illégitime.

Nous partons du principe que ce film diffuse un message moral auprès des spectateurs. Peu nous importe ici que cette morale découle ou pas d'une volonté des producteurs. Cette hypothétique volonté relève en effet d'une stratégie marketing et/ou politique que nous ne sommes pas en mesure d'étudier. Notre présupposé est que le film ne se contente pas de juxtaposer des actions mais qu'il développe une vision du bien. Cette vision est celle qui triomphe à la fin du film et qui est endossée par l'héroïne, en l'occurrence Elastigirl. Notre processus d'analyse est de partir de ce bien final et de remonter le scénario pour distinguer les actions valorisées et celles qui sont dévalorisées par l'intrigue.
Nous devons aussi exclure ici l'idée selon laquelle les réalisateurs auraient voulu casser les codes conventionnels des dessins animés pour chercher l'originalité. Et ceci pour deux raisons: d'abord parce que le caractère "original" ne modifie pas la consistance de la morale sous-jacente et ensuite parce que, en ce qui concerne les enfants (qui constituent tout de même le public-cible) les codes précédents ne sont pas encore totalement acquis, alors comment prétendre les casser ?

Quelle morale ?


Ces deux remarques étant posées, nous pouvons en venir à tenter de définir la morale qui émerge du film. L'intrigue reprend l'idée de la première partie selon laquelle les super-héros ne peuvent légalement plus utiliser leurs pouvoirs car leurs interventions causaient trop de dégâts.
Dorénavant ils rongent leurs freins ou acceptent docilement leur nouvelle condition mais ils sont relégués à des travaux subalternes. La famille Parr (les Indestructibles) doit se résoudre elle aussi à cette inactivité. Dans le premier épisode, le père M. Indestructible accepte toutefois un contrat qui devrait lui permettre de retrouver sa gloire d'antan mais il est dupé. Cette fois, c'est la mère, Elastigirl qui se retrouve engagée par un milliardaire pour reprendre du service. Ce milliardaire, qui est un commercial né, est bien décidé à faire modifier la loi et à réhabiliter les "supers". Pour y parvenir il remet Elastigirl au coeur de l'action, publiquement mais illégalement. La soeur du milliardaire qui est une créatrice de génie propose ses services de créatrice et défend une position féministe.
Les premières interventions d'Elastigirl, pourtant illégales, lui donnent les faveurs du public et peu à peu l'idée d'un changement de la loi en faveur des "supers" fait surface. Mais un mystérieux "Hypnotiseur" (   Screenslaver ) surgit et propose une toute autre vision de l'univers des supers: pour lui, les supers ne font qu'entretenir la faiblesse des hommes. Les hommes n'apprennent pas à gérer leurs problèmes si une puissance supérieure le fait à leur place et donc ils s'asservissent et le temps qu'ils passent devant leurs écrans renforcent ce phénomène. L'Hypnotiseur est bien décidé à mettre un terme à cela.
En vérité cet Hypnotiseur est en fait la soeur du milliardaire et son discours découle d'un drame venu dans son enfance. Son père était un fervent admirateur des supers et il les avait tant soutenus qu'il lui était loisible de les contacter directement. Agressé chez lui peu après l'interdiction légale des Supers, il aurait pu se réfugier dans son bunker comme le lui demandait sa femme mais il a préféré appeler ses amis dorénavant bannis. Ces derniers n'ont donc pas pu venir l'aider et il a été tué.
Traumatisés, le frère et la soeur ont développé deux réactions opposées: le frère veut réhabiliter les supers pour qu'ils puissent à nouveau venir en aide aux victimes, la soeur en a déduit que les hommes devaient se débrouiller par eux-mêmes plutôt que d'espérer une aide surnaturelle.

Le commerce et la créativité

Le frère est associé au commerce, il est dit de lui qu'il est capable de tout transformer en argent. Et cela n'est pas condamné. Bien au contraire puisque ce talent lui permet même de convoquer les dirigeants du monde dans son bateau pour leur faire signer un traité rétablissant les supers. Ce n'est qu'accessoirement que l'on peut imaginer que ce traité présente des retombées lucratives pour le milliardaire.
La soeur, elle, est associée à la créativité, au féminisme et à la maturité. Elle défend l'autonomie des individus. Or, c'est bien cette approche du monde qui génère le conflit et provoque la mort d'innocents. L'histoire se termine par sa mise en prison et par la gloire du camp du commerce et des superhéros.
Dans le premier épisode les superhéros étaient confrontés à une interdiction de développer leurs talents. Finalement ils y parvenaient et le spectateur pouvait y voir le symbole de l'épanouissement personnel, de l'éclosion des compétences et de l'intégration dans un environnement initialement hostile. Mais dans ce deuxième épisode, il n'est plus question d'intégration. Les humains et les supers coexistent mais dans deux sphères différentes.
La dernière scène est révélatrice de l'exclusion. La famille des Indestructibles se rend au cinéma avec un jeune homme amoureux de la fille. Ce dernier est tout simplement éjecté de la voiture dès qu'une nouvelle mission se profile à l'horizon.

Préparer au sécuritaire?

Le personnage principal est Elastigirl, c'est elle que les enfants vont repérer comme l'héroïne. Les valeurs qui l'entourent paradoxalement sont les suivantes: l'amour de son mari, le développement des compétences au point de faire partie d'une élite, (ou, ce qui est une autre version du communautarisme), la vie en famille au point d'y vivre coupé des autres et le renoncement à la créativité libre pour faire confiance aux vertus apaisantes du commerce (ce qui est un libéralisme étrangement amputé). L'invitation tacite est d'accepter un monde sécurisé par une élite séparée de l'humanité et habilitée à occasionner d'énormes dégâts au nom d'un bien qu'ils défendent spontanément voire... naturellement ?
Alors si vous allez voir ce film en famille, n'hésitez pas à poser la question aux enfants, avant de vous la poser à vous-même: qui est le(la) gentil(le) ?