mercredi 30 septembre 2015

Le Voyage en Italie de Roger Waters

(ce texte s'adresse plus spécifiquement aux amateurs de The Wall. Je l'ai écrit en tant que fan, j'exclus donc volontairement, et peut-être naïvement, l'éventualité que tout ceci soit une opération commerciale.)


Ce 29 septembre, Roger Waters a convié ses fans dans les cinémas du monde entier pour livrer une nouvelle adaptation cinématographique de The Wall. La séance comportait deux parties: d'abord un film largement basé sur la dernière tournée mondiale et ensuite un dialogue entre Nick Mason et Roger Waters (que nous ne commenterons pas).



Le voyage en Italie


Quelques notes sur le film tout d'abord. Les séquences tournées en live lors de la récente tournée mondiale constituent la majeure partie du film. L'intérêt principal du film provient du scénario additionnel: un voyage en voiture de Roger depuis Londres jusqu'à Monte Cassino. Le film débute par la fin d'un concert: Roger (ou Pinky?) quitte la scène et le stade. Va-t-il à l'hôpital? Ce qui serait une suite logique du film d'Alan Parker. Non, il revient à la maison. De là, il prend son auto en direction de l'Italie. Armé d'une trompette, il salue un Monument aux Morts de 14-18. Retour sur les images de la tournée: le concert peut commencer, une fois de plus. Puis, dans son auto, Roger lit une lettre et pleure la mort de son père Eric Waters. Bien sûr on peut railler la mise en scène de cette intimité, cela n'enlève rien au caractère dramatique. Mais Roger a plus à nous dire: son grand-père George-Henri Waters est lui aussi mort à la guerre, dans les tranchées alors qu'Eric avait 5 ans. Quelques images, quelques mots et la quête pacifique de Waters s'enracine plus profondément. La peur aussi, celle de son père, celle de son grand-père, la sienne... Le concert peut continuer.
Roger avance vers l'Italie, avec un ami. Un dialogue doux-amer s'engage: la puissance de l'éclair de Zeus et le sourire d'un enfant sont la même chose. Le feu d'Héraclite nous réchauffe. Chacun peut agir pour le bien.
Roger s'arrête dans un bar à la frontière, éméché il nous raconte la mort de son père devant un barman français qui ne comprend pas l'anglais. Ses lèvres bougent mais personne ne le comprend. Pour présenter comfortably numb, Roger a choisi de ne pas parler, laissant la mer et le public s'emparer de ce morceau qui n'est pas vraiment le sien. Ici Roger aurait pu utiliser les images de la prestation avec David, à Londres. Mais il n'en est rien.
Roger arrive dans le mémorial de Monte Cassino et là, on lit, avec lui, le nom de son père. Trompette à nouveau et retour final sur le concert. 

Certains pourraient y voir aussi la chute des frontières et une invitation à l'accueil des réfugiés. Possible. Même si, dans le film, Roger croise, sans s'arrêter, un famille de migrants.
Ode pacifiste, certainement. Et il faut un courage certain pour parler de paix en ces temps troubles où l'on fourbit ses armes partout en Europe. Merci Roger de nous rappeler que la guerre, c'est la mort. La mort de pères, de fils, là et ici.

Après l'interprétation psychanalytique, durablement forgée par le film de Parker, celle de la séparation entre le groupe et ses fans, celle de l'amitié entre les peuples construite à Berlin, voici celle du pacifisme de sa tournée. Chacun peut se construire sa propre vision de l'oeuvre mais il en est une que Roger devrait nous fournir. Elle nous manque cruellement: The Wall par la mère. L'absence de la mère de Roger n'est-elle pas terriblement présente?  "Big Mother is watching you"


Un mur virtuel ?

 Ensuite, la projection de ce film dans des cinémas nous invite à une autre réflexion. "The Wall" voulait dénoncer la rupture croissante entre le groupe et ses fans. Le mur dressé pendant le spectacle poussait à son paroxysme cette logique. Le paroxysme pour l'époque car avec une projection de ce genre, Roger va encore plus loin, volontairement ou pas. Nous étions tous assis dans une salle de cinéma, à regarder un mur se construire sur un écran, et cette fois, derrière le mur, il n'y avait pas de groupe, il n'y avait... rien. Que faisions-nous là à écouter une musique sans chanter, sans bouger, sans lever les mains. Pas d'attente pour le spectacle, pas de perte de temps dans les interminables bouchons à la sortie du show. Un mur devenu virtuel, transmis par les électrons à travers le monde entier. Roger, as-tu voulu nous hypnotiser à ce point ? Pour établir peut-être un lien direct entre toi et chacun d'entre nous, pour communier non plus tous ensemble mais dans une sorte de soliloque individualisé. Peut-être est-ce cette masse en communion qui, paradoxalement, rompt le lien avec le groupe. Mais alors, pourquoi à aucun moment ne nous as-tu adressé la parole ? Tu nous as fait venir dans ce cinéma et tu n'y étais pas, pas plus que dans nos salons et infiniment moins que dans les stades. Est-cela le futur de l'art musical? Un concert public mondial sans chanteur? Le mur construit sur cet écran ne protège plus un groupe, il ne s'adresse plus non plus à une communauté mais à un ensemble d'individus. Si nous n'avions pas sali nos chaussures dans la boue, si nous n'avions pas attendu des heures sous le soleil pour te voir, aurions-nous la sensation de faire partie de la communauté de tes fans? Du lieu social peut-il se créer par écran interposé sans des contacts réels préalables ? La technologie pourra-t-elle permettre à la génération suivante de se rassembler ? Peut-être as-tu voulu nous montrer tout cela avec cette (fausse) invitation... Wish you were here !