samedi 19 août 2017

Valérian : le repli sur soi pour sauver le vivre ensemble ?

Le repli sur soi pour sauver le vivre ensemble ?


L'adaptation cinématographique de la série "Valérian" propose un univers qui pourrait évoquer la cohabitation pacifique entre les cultures et les individus. On y trouve aussi des traces d'écologisme et de repentances post-génocidaires. Pourtant l'ensemble nous laisse un goût très amer. Un paradoxe étrange se dégage du film: en quelques décennies, le repli sur soi est-il devenu la valeur ultime du vivre-ensemble ? Nous partirons de la vision donnée par l'auteur de Valérian et nous la comparerons à celle du film.

Pour bien comprendre, il nous faut livrer quelques détails sur la trame générale du film . Un chef de guerre très puissant décide pour sauver ses troupes de détruire l'ennemi avec une arme qui éliminera également la planète Mül et ses habitants. Une poignée de ces derniers parvient à s'échapper et à rejoindre clandestinement Alpha, une gigantesque station spatiale, construite par l'amoncellement de milliers d'engins aliens et dirigée par les humains. Les Müls vivent cachés et récupèrent du matériel technologique pour se construire un vaisseau dans le but de s'évader. Le chef de guerre, devenu responsable de la station Alpha, est bien décidé à se débarrasser de ces passagers qui pourraient compromettre sa réputation. Il fait croire à une contamination de leur secteur et demande à Valerian et Laureline d'intervenir... Ces derniers finiront par découvrir la vérité et à aider les Muls à quitter la station.

Le Valérian de Christin

 


Ce qui nous intéresse ici, c'est la construction politique de ce monde et le message idéologique véhiculé par le film. Récemment, le scénariste Pierre Christin déclarait à propos de sa série Valerian: "... c'est une bande dessinée résolument antiraciste, anti-xénophobe et anti-confessionnelle, depuis le début. Elle est née dans un contexte où la plupart des BD étaient conformistes, avec un type de héros incarnant l'appareil d'Etat: des soldats, des scouts, des flics, des pilotes... fondamentalement des bras armés. Valérian étend l'humanisme jusqu'aux non-humains." (Pilote Spécial Valérian, Dargaud, juin 2017, p.9).
C'est effectivement l'impression que laisse Valérian dans le contexte français de la fin du XXème siècle.

Pourtant il faut apporter un bémol à la déclaration de Christin. Notons dans le cas qui nous occupe que l'album dont est issue le film, l'Ambassadeur des Ombres, propose une station Alpha où les mélanges culturels sont insignifiants: "Il y a des milliers de races sur Point Central... personne ne passe jamais d'une cellule à l'autre... on utilise les écrans pour communiquer.. "(p.17).
Une seule race, aphone, circule dans les couloirs. Les autres races restent compartimentées. La race qui a créé Point Central est la plus avancée de toutes mais elle a préféré disparaître volontairement (contrairement au génocide décrit par Besson). La Terre, via son ambassadeur, veut établir l'ordre par la force sur Point Central. Les Ombres, grâce à Valérian et Laureline, parviennent à convaincre les hommes du bienfondé de la paix sans recours à la force. Mais en définitive cette paix bienveillante et in extremis défendue par l'ambassadeur terrien converti, est sabordée par la race aphone qui établit la morale par la force. Le message est donc relativement défaitiste et plutôt ambigu.

Le Valérian de Besson

Besson a-t-il réalisé un film d'action, sans visée politique ou bien est-il pertinent d'analyser son message? Le réalisateur répond lui-même à cette question. Il déclare à Paris Match dont la question est "Dans votre film, y a-t-il un message sous-jacent sur la mixité, sur le partage?": "Absolument. Ras-le-bol des histoires où le méchant vient d'ailleurs, donc de l'étranger, pour détruire la Terre. Quid du vivre ensemble? L'histoire de Valérian est politiquement intéressante. Elle évoque le cynisme de nos sociétés, des multinationales qui nous mentent, trichent. Où est le Mal vraiment? Vient-il de loin ou est-il plus proche de nous qu'on le croit? Quand on voit le film on a l'impression d'assister au JT de la veille. C'est très actuel. Et moi j'ai voulu que cela soit très positif. C'est ma vision de l'avenir." (Paris Match Hors-série Valérian, juillet 2017, p.59)


Anti-conformiste ?


La cité Alpha est maintenant présentée comme un assemblage de vaisseaux dont les premiers proviennent des peuples de la Terre. Alpha est toujours dirigée par les humains et c'est d'ailleurs pour que ces derniers restent maîtres à bord que le Conseil a couvert la destruction de la planète Mül. Alors que dans la version initiale de l'Ambassadeur des Ombres : "C'est justement au tour de la Terre, et pour la première fois, de présider le prochain conseil". Les Humains ont un rôle central et sont dépositaires de l'autorité." (Idem, p. 117), Valerian et Laureline sont bien ici le bras armé de l'Institution en place.
La construction de cette société, sous l'égide des humains, ressemble étrangement à un univers cloisonné. Bien que les créatures se saluent à leur arrivée sur Alpha durant le prologue du film, elles vivent chacune dans leur secteur, chacune dans son rôle spécifique. Entre ces univers qui coexistent, il existe des parois qui peuvent être franchies par les héros mais qui délimitent des zones de non mixité.
Certes le général génocidaire est disqualifié et devient le méchant de l'histoire mais cela ne remet ni en cause l'organisation d'Alpha ni même le pouvoir en place. Il n'existe aucun contre-pouvoir: ni opposition politique, ni presse par exemple. Le déroulement de l'intrigue et l'univers développés ne montrent, à nos yeux, aucun anti-conformisme.

Anti-raciste ?


Il y a plus étrange: le peuple Mül est présenté à la fois comme respectueux de l'environnement (il rend à la Nature ce qui lui a été pris), comme victimaire (il a été détruit lors d'une guerre qui ne le concernait pas), comme savant (il a étudié les connaissances de l'homme y compris... la philosophie) et comme vertueux (il a pardonnée aux assaillants) et, en même temps, ses survivants ne veulent en rien se mélanger aux autres. Au contraire, ils vivent cachés comme des rats, volent le matériel et n'ont qu'une idée en tête: fuir Alpha. Ils sont l'archétype d'un peuple dont le salut vient de sa pureté et de l'absence de mélange avec d'autres, y compris de ceux qui défendent le vivre ensemble. Ce qui est constitutif d'une politique raciste.

Protéger le repli sur soi est-il le salut de l'humanisme ?


Mais le plus étonnant est sans doute la réaction de Laureline à la fin du film. Présentée comme une brillante intellectuelle, elle use de ses charmes auprès de Valérian pour pousser les Muls à déguerpir au plus vite dans l'espace intersidéral. C'est au nom de l'amour qu'elle invite son compagnon d'armes à désobéir aux ordres et, surtout, à renoncer aux vertus du cosmopolitisme. A ce stade de l'histoire, rien n'empêchait aux deux héros de dénoncer les agissements du général génocidaire, de demander que l'Etat  rende justice et de permettre aux Muls de s'intégrer dans Alpha. Valérian aurait agi de la sorte s'il avait été "humaniste jusqu'aux non-humains". Mais l'histoire se termine par la dévalorisation de l'humanisme  et par le triomphe du sectarisme, avec l'appui des meilleurs représentants de l'Etat, le tout noyé dans une idéologie paradoxalement soixante-huitarde.

Ou bien une nouvelle idéologie émerge et la vie en communauté (re)deviendrait un bien suprême sous couvert de l'harmonie avec la nature, de la capacité de pardon et de l'acquisition de connaissances. L'Etat serait alors convié, comme autrefois, à assurer la sécurité de tous et à neutraliser les méchants mais il devrait, en plus, admettre que des groupes seront plus heureux en dehors de lui. Est-ce compatible avec les droits universels de l'homme ? Est-ce un nouvel avatar de la modernité ou un pas vers la post-modernité ? Ou un retour vers un monde pré-moderne (il est cocasse de rappeler ici que Laureline, qui est à l'origine de la décision finale, est issue du Moyen-Age) ?
Ou bien encore le message final serait-il que la connaissance, le respect de la nature et le pardon, aussi sympathiques soient-ils, n'ont pas leur place dans notre monde moderne ?



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