jeudi 5 décembre 2019

Le vrai cadeau de saint Nicolas


Le vrai cadeau de saint Nicolas

 
Voici donc revenu saint Nicolas et avec lui son cortège de commentaires et de critiques. Le personnage ferait peur aux enfants, il devrait enlever sa croix ou sa canne, et ne parlons même pas du Père Fouetard. Nous aimerions ici  développer une approche en insistant sur un point souvent omis: à la fin de l’histoire, saint Nicolas perd sa barbe. Toujours. Et ce moment, qui peut être traumatisant, constitue le véritable rite de passage, bien plus que la distribution des bonbons.  Saint Nicolas offre ainsi de beaux cadeaux aux enfants devenus grands. Nous allons convoquer Platon et Nietzsche pour expliquer comment.

Mon premier souvenir de saint Nicolas est associé au salon familial. Devant le divan, il y avait une porte à deux battants. Celui de gauche s’ouvrait et un bras ganté de blanc en sortait. Une grosse voix  inconnue, mais qui devait venir de Haut, énonçait mon prénom ou celui de mon frère. Celui qui était désigné devait se lever pour aller chercher le cadeau. Ce n’était pas traumatisant. Cependant, je n'aurais jamais osé ouvrir cette porte qui conduisait au bureau de mon père. Cette pièce était coupée de la réalité, elle devenait sacrée, le temps de la cérémonie. 
J’ai sans doute vu saint Nicolas, au loin, dans les rues du village. En classe, j’ai eu peur lorsque j’ai du jouer de la flûte pour lui et le reste de mes condisciples. J’ai été heureux de chanter pour lui, les « prières » que nous connaissions tous, et de recevoir de ses mains le premier pull-over de mon club de judo. Je ne reconnaissais aucune voix, pas même celle de mon père qui ne portait la barbe que le 6 décembre.

Puis, bien sûr, vient le moment inéluctable où la barbe blanche tombe. En ce qui me concerne, je ne me souviens ni quand ni comment. Mais la page était tournée. Irrévocablement ?
Je suis devenu professeur, j’offre des bonbons à mes élèves le 6 décembre. Je suis devenu papa, j’ai déposé des cadeaux pour mes enfants et je me suis régalé de leurs sourires. Je perpétue la tradition, sans trop y réfléchir. Ce n’est que récemment que j’ai compris sa puissance de métaphysique appliquée. 


Platon


Ainsi, pour expliquer l’allégorie de la caverne de Platon, je fais référence à saint Nicolas. Dans cette métaphore antique, des gens sont enfermés et attachés dans le fond de la caverne et ne voient que des ombres sur la paroi. Ils sont convaincus qu’il s’agit là de la réalité. L’un d’entre eux se détache. Après une période d’acclimatation, il sort de la caverne, découvre le monde extérieur et change sa vision du monde. Puis il revient dans la caverne et décrit son expérience à ses camarades d’infortune en les invitant à le suivre. 
Les étudiants comprennent assez vite que l’homme qui s’échappe symbolise le philosophe. Cependant ils admettent plus difficilement que nous sommes tous, eux y compris, susceptibles d’être attachés dans cette caverne. C’est ici que saint Nicolas apporte son aide. Car ceux qui y ont cru saisissent vite la possibilité d’une part d’être victime de l’illusion et d’autre part de l’effort nécessaire pour s’en extraire.  Ils ont vécu cette période d’acclimatation, la barbe qui tombe, qui se traduit, chez Platon, par une douleur dans les yeux lors du premier contact avec la lumière du jour. Saint Nicolas offre cette aide pédagogique. 

Le rite du passage


Mais il y a plus. Quand la barbe tombe l’enfant est invité à s’intégrer dans une communauté plus large. A l’école il fera partie de ceux qui savent, de ceux qui ont dorénavant le pouvoir de transmettre l’émotion et la bienveillance. Il est détenteur d’un secret qui ne trouve son sens que dans un groupe complice dont il est dorénavant l’un des membres. Il a probablement vécu une désillusion mais elle peut se transformer  en une ressource pour l’avenir. Et cela me semble l’un des véritables apprentissages qu’offre saint Nicolas.  Peu importe qu’il porte une barbe ou une croix, l’enjeu ne se situe pas là. Il existe bien un rite de passage, non confessionnel, offert à tous.

Un rite anti-rituel


Pourtant il nous semble y avoir un enjeu religieux ou plus précisément dogmatique, dans le prolongement de la caverne de Platon. Nous l'avons vu, la rencontre avec saint Nicolas est un moment sacré: chants incantatoires, trône, formes rituelles… La communauté crée une sacralisation qui va permettre aux plus jeunes, pour lesquels le rituel est mis en place, de développer une croyance, l’espace de quelques années. Ensuite viendra, immanquablement, la désacralisation. Le grand barbu n’était pas et n’a jamais été un être magique. Saint Nicolas est mort. Et il convient ensuite de dépasser ce petit drame. La barbe tombée n’entraine pas l’apocalypse ou la fin des temps, le monde continue à tourner. Et il peut même mieux tourner puisque la communauté de bienveillance s'est accrue. 
Et voici le second apport pédagogique, cette fois en rapport avec Nietzsche: la mort de saint Nicolas ouvre une porte conceptuelle vers la mort de Dieu. Admettre la mort de Dieu, et donc de toutes les valeurs traditionnelles, constitue une "terrible conquête pour un esprit patient et respectueux." Dans "les trois métamorphoses de l'Esprit", c'est dans ces termes que Nietzsche désigne la métamorphose du lion, étape essentielle vers celle de l'enfant qui "... veut maintenant sa propre volonté, celui qui a perdu le monde veut gagner son propre monde" ("Ainsi parlait Zarathoustra").

Nietzsche

Ainsi, la tradition de saint Nicolas est profondément iconoclaste contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord. Il ne peut pas y avoir de religion dans le saint qui arpente les rues pour distribuer des bonbons tout simplement parce qu’il est voué à être détruit. Non seulement, pour rejoindre Marx, il est invention humaine, mais en plus il va disparaitre. La tradition de saint Nicolas est un mélange de « L’homme a créé Dieu » et de « Dieu est mort ». Les dogmatiques en tous genres n’aimeront pas saint Nicolas car il est celui qui permet de renverser la Table des Valeurs. Saint Nicolas n'apprend pas la religion, il la menace profondément. Les symboles qui figurent sur lui sont voués à disparaitre avec la chute de sa barbe. Ainsi enlever la croix de sa mitre est presque une bénédiction pour les Chrétiens. Remarquons que les publicitaires ne placent pas leurs logos sur saint Nicolas. Ce dernier est une icône conçue pour être... détruite. Les défenseurs de saint Nicolas sont donc de faux iconophiles et de vrais iconoclastes. Mais que sont les pourfendeurs de saint Nicolas ? De vrais iconophiles et de faux iconoclastes ?

François-Xavier HEYNEN
www.philofix.be


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