vendredi 11 novembre 2016

Et si Trump était la troisième voie ?


Comment réagir en philosophe à l’élection de Donal Trump à la présidence des USA ? En posant des questions. Un élément attire notre attention : le flux incessant d’insanités contre Trump. Au point qu’injurier Trump équivaut à se donner une caution morale. Les médias belges et français excellent dans cette pratique. Ceci nous semble le signe du refoulement d'une question plus fondamentale. En effet, avec ce milliardaire, n'assiste-t-on pas à la naissance de la troisième voie, ce chemin mythique, ni à gauche, ni à droite ? Sous la forme d’un libéralisme schismatique parce que acceptant des frontières et débarrassé  de sa couverture idéologique socialisante ? Une révolution aussi profonde ne serait-elle pas systématiquement niée ?

En Belgique, les médias n’ont jamais été tendres pour Trump. Ce candidat a été présenté comme un clown, un bouffon, un misogyne, un xénophobe, un idiot… Ces propos répétés à l’infini depuis des semaines ont fini par former terreau idéologique largement partagé. Cette couche peut même être considérée comme un cordon sanitaire implicite. Car avouer une sympathie, même lointaine, pour Trump, c’est l’assurance d’être classé à l’extrême-droite.
C’est un fait : les médias et une large tranche de la population diabolisent Trump. Une telle collusion nous imposent à nous poser la question : pourquoi avoir choisi Clinton plutôt que Trump ? 

Des raison objectives ?


Peut-être y a-t-il des raisons objectives pour lesquelles Trump est autant détesté ? Pour sa bêtise? Pour sa misogynie ? sa xénophobie ? son isolationnisme ? Tout cela à la fois?
L’argument de la bêtise a déjà été servi: pour Ronald Reagan et pour les Bush (surtout junior). Pourtant cet argument nous semble peu convaincant car il est peu compatible avec les faits : Trump est devenu milliardaire et a obtenu l’investiture d’un grand parti pour la Maison Blanche.
L’argument de la misogynie est plus troublant. C’est en effet un comportement inadmissible qu’il a bien endossé mais il nous semble que d’autres personnes s’y livrent volontiers sans subir un tel lynchage médiatique.
La xénophobie est délicate à établir, surtout sur base de quelques images extraites de discours enflammés. Il est très difficile de comparer la perception américaine de la xénophobie ou du racisme et la nôtre. Les approches sont sensiblement différentes. Par exemple, il ne faut pas s’étonner de trouver sur des formulaires officiels américains des cases réservées à la race, ce qui serait inimaginable chez nous. Par ailleurs, il existe un paradoxe dans le fait qualifier de xénophobe, un Américain qui est marié avec une Slovène dont l’accent, paraît-il, déplait à l’électorat républicain. Ces trois premiers arguments demeurent toutefois limités à  personne de Trump. Y a-t-il une argumentation plus générale pour justifier la haine contre Trump? 

Trump ne préconise pas une société misogyne ni ne fait l’apologie de la bêtise, par contre on pourrait croire qu’il veut une société xénophobe et isolationniste. 
Comme nous l’avons expliqué, le caractère xénophobe nous échappe et nous ne nous aventurerons pas dans cette question. Une remarque cependant: pour ceux qui se risqueraient à identifier xénophobie et nationalisme, ils devront bien intégrer que la nation américaine est constituée par des individus qui ont le sentiment de participer à une nation qui, depuis l’origine, se compose de communautés diverses : religieuses et raciales. 

L’apparition de barrières

Par contre le caractère isolationniste nous semble beaucoup plus intéressant à décortiquer. Que reproche-t-on au fond à l’isolationniste? L’isolationnisme comprend deux volets: économique et politique. Economiquement, un isolationniste veut s’isoler, réduire le commerce avec les autres pays et harmoniser son industrie et son marché interne. Si Trump met cela en œuvre aux USA, en quoi cela concerne-t-il le citoyen européen? Cela perturbe les marchés économiques, certes, mais qui va être affecté dans sa vie réelle ? Des traités (par exemple le traité transatlantique) pourraient être abandonnés. Si c’est bien le cas, pourquoi donc les opposants au TTIP n’ont-ils pas fait campagne en faveur de Trump ? 
Politiquement, l’isolationnisme signifie la politique opposée à celle de l’impérialisme. Ceci signifie, normalement, le désengagement des troupes à l’étranger. Les pacifistes et anti-impérialistes qui dénigrent régulièrement les USA ont-il fait campagne pour Trump ?

Il y a plus étrange, c’est le rapport au progrès social et à la protection de la classe moyenne. Traditionnelement les Démocrates sont présentés en Europe comme incarnant le changement et les Républicains sont réputés plus conservateurs. Or, que constate-t-on ? Trump ne cesse de décrier les élites et le pouvoir en place. Il affirme vouloir modifier le système en place. Il promet l’amélioration de l’infrastructure et donc de grands travaux publics. Ce qui est, paradoxalement, une attitude de progressiste.

Libéralisme schismatique


C’est paradoxal car il est républicain mais aussi parce qu’il est milliardaire. Cet élément majeur présuppose que Trump a intégré le fonctionnement du libéralisme, qu’il en a vécu et qu’il ne l’a pas renié. Mais de quel libéralisme peut-il bien s’agir ? Apparemment pas celui des marchés financiers contemporains, si l’on en croit la haine affichée par Trump envers Wall Street et ses élites. Peut-être le libéralisme d’autrefois, d’avant les spéculations financières ? Celui qui donnait sa chance à tous ceux qui voulaient la saisir? Celui qui rendait possible le rêve américain? Le libéralisme qui pouvait se développer sans le besoin de la couverture idéologique du socialisme ? (Ici nous faisons référence aux travaux de Jean-Claude Michéa (par exemple : L'Empire du moindre mal) qui affirme que la gauche n’existe plus, et qu’il n’existe plus qu’une droite économique (le libéralisme) et une droite politique (le socialisme).
D’après ce courant de pensée, les outrances sociétales du libéralisme contemporain ont besoin, pour être acceptées, d’une idéologie: en gros, l’économie de marché, par sa promotion intrinsèque de la liberté pour faire tourner le marché, est la seule capable de garantir la protection des Droits de l’Homme. 

Un nouvel espoir ?

Mais Trump, lui, ne se soucie pas de cet arsenal idéologique comme en témoignent ses propos misogynes par exemple. Il a bien vécu du libéralisme et il est convaincu que d’autres peuvent profiter des avantages de cette doctrine. Mais il se distingue de la forme actuellement dominante du libéralisme en deux points majeurs. D’une part en renonçant à la couverture idéologique de « gauche », d’autre part en intégrant une dimension nationaliste (ou isolationniste) au marché, ce qui est économiquement hérétique, pour ne pas dire schismatique. En effet, la suppression incessante des frontières est un dogme aussi bien pour les socialistes (immigration, mariages homosexuels…) que pour les libéraux (libre circulation des biens…). Trump, à l’instar de ceux qui font la promotion des circuits-courts chez nous, propose en fait, consciemment ou pas, une position libérale dissidente mais en ayant prouvé, par sa fortune, qu’il est capitaliste. Le fait qu’il soit milliardaire et dorénavant président des USA lui donne du crédit: un autre libéralisme est dorénavant envisageable à grande échelle. Un libéralisme qui se conçoit avec des barrières et avec des investissements publics : une sorte de nouvel espoir d’un autre monde possible, le premier depuis l’effondrement du communisme ? Un espoir ou une aventure…  

REMARQUES  IMPORTANTES:
-Le présent texte vise à questionner le dogme libéral. Déceler un dogme et l'interroger est une approche constitutive de la philosophie. Il ne s'agit par contre en rien de cautionner des politiques racistes, misogynes ou xénophobes et nous ne souhaitons pas minimiser les risques de récupération (y compris de ce texte) par des pensées nauséabondes. Il nous semble toutefois que que notre approche évite au moins de traiter plusieurs dizaines de millions de personnes d'idiots, de misogynes et de xénophobes: cela pourrait aider à la reconstruction d'un lien social. 
De la même façon que remettre en cause la Trinité ne signifie pas être sataniste. Si ? 

6 commentaires:

  1. Effectivement on ne peut négliger le fait que Trump a été élu démocratiquement et que là-dessus il n'y a pas à contester. On doit maintenant le juger sur la politique qu'il va réellement mener car en politique, il y a une marge entre le discours électoral(iste) et la façon d'arriver à concrétiser les promesses une fois élu. Il faut lui laisser le temps de prendre ses marques pour évaluer après.

    RépondreSupprimer
  2. Il ne faut pas faire de l'angélisme. Ses propos sur les Mexicains, les traités internationaux, le réchauffement climatique, la répression de l'avortement sont extrêmement préoccupants. Tout ce que l'on peut espérer est que se construise autour de lui, y compris dans les rangs républicains, un filet de sécurité pour éviter les catastrophes

    RépondreSupprimer
  3. J'abonde FX. Tu exprimes merveilleusement ce que je pense sans toutefois aller aussi profondément dans le fait.

    RépondreSupprimer
  4. les questions posées méritent de l'être. Toutefois, le ressenti négatif général est tel que l'approche philosophique, même étayée de la sorte, n'aura que peu d'écho à mon sens. En tout état de cause merci pour ce raisonnement hors du main stream, particulièrement interpellant je le concède.

    RépondreSupprimer
  5. Tout comme Hitler, il montre une voie possible (pour lui) sans se rendre compte de la complexité des rouages et du cul-de-sac final dans lequel sa voie peut nous emmener.
    Mais ça plaît. Du moins à 25% des américains qui ont voté pour lui. Car les 75 % qui , soit n'ont pas voté, soit ont voté pour un autre candidats, n'en gardent pas moins le droit fondamental, en démocratie de pouvoir encore s'exprimer (même si c'est hors du scrutin électoral). Les 50 % qui n'ont pas voté, ne sont pas des numéros mais des êtres humains. Et le libéralisme , comme politique ou modèle économique, n'est pas leur choix premier. Ce qu'ils vivent tous les jours, ça , oui!

    RépondreSupprimer
  6. Revenons au libéralisme. Comme tout système économique ou politique, son existence n'est due qu'à une réflexion du bien dû à l'espèce humaine, l'Humanité, l'Homme. S'il ne doit son existence qu'au profit de quelques uns , il est nuisible et doit donc disparaître.
    Le libéralisme originel nous veut du bien.
    Mais qu'est-il alors devenu dans les mains de quelques uns? En mettant en difficultés des hommes par la perte de leur emploi, le gain de quelques uns augmente en Bourse: est-ce cela le libéralisme? En fin de compte le plaisir ultime de quelques uns serait de priver de gains l'Humanité entière? C'est absurde... C'est nuisible et destructeur... C'est inhumain.
    En vrai, le libéralisme serait de favoriser le gain des entreprises qui, à travers leurs bénéfices, favorisent l'emploi: d'ailleurs, la main sur le coeur tout les libéraux vous le diront.... Mais la réalité est loin de ce constat , non?
    Trump a-t-il la clé pour tout changer? Il ne m'en a pas laissé l'impression à travers ses discours.

    RépondreSupprimer