jeudi 12 mars 2020

Que la République éclaire les étoiles


L’affaire Polanski nous permet-elle d’ouvrir des questions philosophiques ? Elle permet en tous les cas de s’interroger sur la morale, sur la communauté qui la crée et sur les démocrates qui devraient rester vigilants face à son retour.

Le rôle de l’Etat est de juger M. Polanski selon la loi en vigueur. Y a-t-il lieu de s'inquiéter à ce sujet ? Une autre institution que la Justice est-elle plus habilitée pour gérer les crimes et délits ? La séparation des pouvoirs est une règle démocratique constitutionnellement établie. Certes les médias ne constituent pas un pouvoir constitutionnel mais, dans les faits, ils forment bien un pouvoir qui devrait, par extension, être séparé, lui aussi, des autres. 
Le « débat » pourrait s’arrêter ici mais il nous faut tout de même évoquer plus avant le volet médiatique car il est le cœur réel de l’affaire Polanski.

Déontologie élargie, et ensuite ?

Certaines célébrités du cinéma français ne veulent donc pas se contenter des décisions judiciaires, elles veulent y ajouter l'opprobre au nom de leur morale.
Cette morale, construite donc par des membres d’une classe artistique (ou plus exactement professionnelle) ressemble à une forme de déontologie élargie.  Ce que l’on pourrait résumer par: « Pour être un bon réalisateur de cinéma, on ne doit pas avoir des agissements comme ceux de M. Polanski ». La communauté du cinéma français pourrait ainsi décider que sa morale n'est pas compatible avec les agissements de Polanski. L'avantage, si l'on peut dire, c'est que ces agissements n'ont pas besoin d'être avérés pour être amoraux. Les sages d’une communauté peuvent disqualifier l’un des membres au nom de l’intérêt du groupe ou de la tradition. Ainsi la cérémonie des Césars, si elle constitue une grand messe des acteurs, peut effectivement être le lieu pour éjecter un membre devenu amoral. Il est même légitime de le faire savoir publiquement.
Mais le processus peut-il aller plus loin ? Autrement dit l'exclusion d'un membre peut-il se compléter par une mise au ban de la société…civile, via les médias ? Il s'agit ici d'une dérive classique du communautarisme qu'il convient de combattre, au nom de la démocratie et plus particulièrement au nom de la laïcité. Les communautés ont régulièrement tendance à confondre leur règlement intérieur et la loi. La neutralité des Etats modernes est l'un des acquis de ces luttes.
Notons que d’autres vedettes ne partagent pas cette approche moralisante. Il y a un conflit interne dans ce groupe. La communauté, est divisée et, vu la notoriété des uns et des autres, cette scission devient rapidement publique elle aussi. Nous assistons donc à une querelle intestine qui concerne avant tout l’univers des professionnels du cinéma mais qui s’exporte sur la place publique et vient converger avec d’autres luttes en cours. On ne sera pas surpris de trouver dans ce clivage, sous la question morale, des luttes de pouvoirs plus pragmatiques, voire des querelles d’egos.

Que peut-on dire de cette morale ?

Cette morale est-elle légitime en-dehors de son tissu professionnel ? Peut-on imaginer que Polanski, parce qu'il est une vedette, doive subir un traitement de faveur infligé par ses pairs?  Ce traitement n'est pas fondé sur le droit, il vient plutôt le renforcer, voire le déformer. A défaut d'être légal, il pourrait être moral, c'est-à-dire fondé sur le bien et le mal. 
Comme toute morale, elle peut sembler étrange vue de l'extérieur du groupe qui la produit. Par exemple, dans le cas présent, pourquoi Polanski est-il conspué alors que Ladj Ly (condamné notamment à une peine de 2 ans fermes pour complicité d'enlèvement et de séquestration, dans une affaire sentimentale) ne fait l'objet d'aucune remarque lorsqu’il reçoit son prix ? Ceci me pousse à dire que le traitement de défaveur préconisé par certains ne relève pas d'une véritable morale, mais bien d'une moraline, c’est-à-dire de quelques bons sentiments qui ne se basent pas sur un raisonnement moral cohérent.
Il n’y a là aucun jugement de valeur. Le combat, même mené au nom d’une moraline, peut être juste.  Certes, déontologies, moralines et morales doivent pouvoir être exprimées publiquement et certes elles influencent les mentalités, ouvrent des débats et permettent des changements. Mais elles doivent aussi rester à leur place: des particularismes, parmi d’autres.
Contrairement à la Justice, une star française, même toutes les stars françaises rassemblées, n’incarne(nt) pas l’universalisme. Il est important que la République s’en souvienne. La neutralité de l’Etat en dépend.

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