mercredi 15 avril 2020

Voyage en confinitude 1: Le phare des chiffres


Voyage en confinitude 1 : le Phare des Chiffres



Dans mon précédent post, j’ai utilisé le terme « confinitude » pour désigner cette situation étrange qui nous oblige à camper aux confins de l’inconnu. Je conçois en effet le virus comme un inconnu dangereux et, donc, anxiogène. Cette confinitude nous pousse à côtoyer le non-être. J’avais notamment proposé le terme de télédeuil pour indiquer que les mesures actuelles qui encadrent la mort la déshumanisent en annihilant les rites funéraires indispensables.

La Mer de l'Inconnu 

Dans ce confinement, seul le voyage en confinitude me semble possible. Aussi j’aimerais embarquer sur mon frêle radeau et m’aventurer dans les eaux incertaines de la Mer de l’Inconnu.
L’embarcation dérive bien sûr car, dans l’inconnu que le coronavirus déploie, les références dogmatiques traditionnelles ne m’offrent pas de cap.
J’ai décidé de me laisser guider par ce que je ressens et/ou ce qui entre dans mon champ de compétence. Ma première étape me conduit aux chiffres.
Une remarque m’a heurté lors de la conférence de presse quotidienne du centre de crise (14/04/2020) durant laquelle les chiffres relatifs à la maladie sont égrenés. Cette phrase est la suivante: «Il serait totalement irresponsable de commencer à interpréter nous-mêmes ces chiffres et adopter chacun un comportement différent en fonction de cette interprétation ».
L’objectif bien sûr est d’éviter que les citoyens se libèrent du confinement en prétextant que les chiffres le permettent. Et il n’est pas question ici de remettre en cause les mesures sanitaires.
Toutefois l’affirmation me semble être déplacée. En effet les chiffres peuvent rassurer et apporter du réconfort. Depuis la plus Haute Antiquité, des humains ont voué une fascination aux nombres et ont construit des théories autour d’eux, scientifiques ou religieuses. 

Le Phare des Chiffres 

 

Au coeur de notre tempête actuelle, les rares données objectives (pour peu qu’elles le soient vraiment) se concentrent dans ces insupportables statistiques. Leur fréquence permet de se situer, un peu comme le ferait un phare dans la nuit noire. Et voici que leur interprétation serait « irresponsable » ? Il faudrait recevoir les chiffres mais leur interprétation serait réservée à des experts ? Nous pourrions regarder la lumière du Phare des Chiffres mais nous ne serions pas outillés pour calculer notre route ? Dans ce cas, pour quelle raison nous communiquer ces chiffres ?
Les chiffres permettent de construire une représentation mentale et semblent baliser l’inconnu. Bien sûr nous ne sommes pas tous capables de leur accorder le même niveau d’analyse. Et certains rapports aux chiffres peuvent sembler irrationnels. Mais peu importe, ils apportent des éléments cognitifs, ce qui fait cruellement défaut dans la Mer de l’Inconnu.
Les nombres exercent un profond pouvoir sur la philosophie car ils s’affichent comme des traces idéalistes tangibles. Ne sont-ils que de pures conventions ou existaient-ils avant que les humains les utilisent ? « 1 + 1 = 2 » était-il déjà vrai à l’époque des dinosaures ?  L’homme a probablement besoin de chiffres mais aussi du droit de les interpréter.

La phrase, qui peut sembler anecdotique, doit être remise en cause pour une deuxième raison. Nous devons pouvoir interpréter les chiffres, nous devons pouvoir en discuter, les comparer avec ceux des autres pays, car cela ouvre la voie au débat, essentiel en démocratie. Y compris si cela doit remettre en cause la pertinence de l’expertise et de ses implications politiques. La phrase d’allure paternaliste veut agir comme pare-feu contre les comportements asociaux cependant elle peut aussi servir de justification auto-référentielle à l’état d’urgence, ce qui n’est jamais bon en démocratie. Les chiffres ont leur sens, les mots aussi. Nous naviguons en eau trouble et si certains doivent pouvoir garder le cap, nous devons nous souvenir que la Mer de l’Inconnu nous entoure, tous, et qu’il existe aussi des règles démocratiques.
Gardons ce Phare des Chiffres en tête mais éloignons-en pour continuer notre périple dans cette Mer de l'Inconnu.
François-Xavier HEYNEN - 15/04/2020

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire