Les oiseaux du Paradis


LES OISEAUX DU PARADIS

(Texte rédigé en avril 2019 pour deux classes du professeur Mme Bérénice Bloc, au Collège da Vinci de Perwez. Il s'agit d'une réponse lointaine à l'ouvrage "La part du Colibri" de Pierre Rabhi)


En ce beau printemps, le soleil trône dans le ciel bleu où volent quelques oiseaux mais, malgré le réchauffement climatique… il fait encore froid. Sur le coteau, superbement orienté, les vignes dorment encore, dans le presque gel, soumises à l’inquiétant verdict la nature et plus spécialement celui du mercure : arrêtera-t-il sa course en-dessous ou au-dessus de la ligne du zéro ?
Ici, depuis des lustres, le terroir est divisé en lopins que les vignerons conservent précieusement et s’envient jalousement. Adam a hérité de quelques-uns d’entre eux. Par respect pour la tradition familiale, ce viticulteur passionné veut produire un vin d’excellence. Et depuis quelques années, grâce à l’aide de sa compagne Viviane, il s’est orienté vers une approche bio dans l’espoir de respecter la nature autant que possible.
Inquiétés par les conditions météorologiques, ils sont venus ce matin pour parer au gel. Bientôt les ceps cueilleront l’abondante énergie venue de la voûte céleste, mais pour l’instant Dame Nature est frileuse. Ce matin, le couple s’est levé tôt et, après une dizaine de kilomètres en bicyclette, ils ont pénétré sur leur parcelle coincée entre celle du vieux Litho Rabot, un écologiste radical, et celle de la famille Dumont, aujourd’hui exploitée par la société Wini Robot. Le couple dépose les vélos et prépare son matériel. Malgré la brume glacée, Viviane rayonne dans son pantalon moulant. S’agenouillant au pied d’une vigne pour la réchauffer à l’aide de bougies géantes et écologiques, Adam admire les longues jambes de sa compagne qui effectue les mêmes gestes d’échauffement des bourgeons que lui. Il sourit en aspirant le délicieux air frais matinal, le circuit court par excellence. Tout est calme ici. A peine entend-t-il, au loin, des tracteurs, sur la route du moulin.
Un léger bruit attire pourtant son attention. Un murmure mécanique s’échappe de la parcelle voisine. Viviane l’a également remarqué. Quelques instants plus tard, le couple a franchi la petite barrière qui sépare les terrains. Viviane découvre des… robots. Des engins qui, eux aussi, à leur façon, évitent à la vigne de geler. Le jeune vigneron examine, ou plus exactement, admire le mouvement rapide et précis de la machine. L’engin travaille aussi bien qu’eux, mais cinq, peut-être dix fois plus vite. Enervée, Viviane râle et reproche à son compagne :
-Pourquoi regardes-tu ces horreurs avec une telle fascination ? Cette saleté détruit ton métier !
Puis elle se lève et entraine Adam à l’autre extrémité de la parcelle. Là, elle désigne les vignes de Rabot. De la végétation a poussé, quelques fleurs ont déjà éclos, offrant une couverture joliment colorée aux racines des vignes, les protégeant naturellement du froid. Le robot pourrait à peine circuler dans cet enchevêtrement délicieusement chaotique de plantes en tous genres au milieu desquelles trône un pêcher. Le jeune vigneron n’a jamais compris comment il était possible de laisser tant de place à la nature dans une vigne, d’autant que la présence d’un pêcher aura pour effet direct d’imposer l’appellation de « vin de table » à la récolte. Mais sa compagne, elle, est enthousiaste :
-Regarde chéri ! Voilà l’avenir ! La vigne rendue à son véritable environnement. Les raisins seront plus purs, plus sauvages, plus authentiques. Si nous pratiquions comme cela, notre vin n’en serait que meilleur !
Autour de l’arbre, quatre épouvantails sont plantés dans la végétation renaissante. Adam s’en offusque : 
-Regarde ! Avec cette stratégie, les oiseaux vont fuir la parcelle de Rabot. Ils viendront manger notre raisin. C’est injuste. Bien plus injuste que les robots !
Viviane est rassurante :
-Mais non, Rabot nous montre le chemin, nous n’avons qu’à placer des épouvantails, comme lui. Et les oiseaux partiront. Si chaque vigneron plante un épouvantail, nous serons trous préservés des oiseaux.
Ces arguments ne convainquent pas vraiment Adam. Celui-ci s’interroge : ‘Mais alors, où iront les oiseaux ?’. Plus profondément, Adam est de plus en plus énervé par l’admiration que sa compagne voue à Rabot. Il est presque jaloux de ce vieil homme qui a toujours un avis sur tout et qui le sème à tout vent. 
Après le travail de la vigne, vers midi, le couple se retrouve sur la terrasse de leur maison en pierre en bordure du village. Ils peuvent y entendre les poules glousser dans le vaste poulailler que Viviane gère depuis deux ans. Un pain de la boulangerie locale, une salade de légumes du jardin et bien sûr des oeufs ont été déposés sur la table en bois. Viviane est fière de ses oeufs savoureux et totalement bio puisque les villageois lui apportent leurs déchets et qu’elle n’utilise aucun produit synthétique ou pharmaceutique.
Adam saisit un oeuf dur et en casse la coquille. Il dégage peu à peu le blanc, se régalant déjà du moment où il le dégustera. Mais Adam s’arrête net car le visage de sa compagne vient de subitement s’obscurcir. Une idée affreuse vient de la traverser en voyant les morceaux de coquille sur le bois de la table : la coquille est un déchet. Aussi pur l’oeuf soit-il, sa coquille constitue un déchet pour les clients. Viviane veut un produit qui se mange sans laisser aucune trace de pollution. Cette idée à laquelle elle n’avait jamais pensé la hante subitement. Adam distingue très vite une angoisse dans les yeux de la femme qui partage sa vie. Il l’interroge pour la rassurer mais lorsqu’il comprend l’origine de l’inquiétude, il s’énerve subitement. Ca dépasse son entendement, il tente de la raisonner :
-On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs ! C’est comme ça.
Viviane n’en démord pas :
-Tu ne peux pas comprendre. Tu fais comme si tu voulais être écologiste mais en vérité tu ne l’es pas, tu ne l’es pas vraiment. J’ai bien vu ton regard admiratif tantôt devant les machines. Et puis tu soutenais le groupe qui a chassé les réfugiés, le mois dernier. Adam hausse la voix :
-Mais quel est le rapport ?
Viviane lève les yeux au ciel :
-Tout est lié ! Nous sommes sur la même terre, et cette planète n’est pas à nous. Nous ne faisons que l’emprunter à nos enfants…
Il la coupe avec quelques mots intimes :
-Nous n’avons pas d’enfants… malheureusement.
Elle continue sur sa lancée :
-Pour nous, c’est mieux. Mais il y a tout de même des enfants dans le monde. C’est cela le problème. Nous leur empruntons la terre. Elle n’est pas à nous, pas à toi, pas à moi alors de quel droit ne serait elle pas aux réfugiés ?
Adam sent l’agacement monter en lui mais il préfère éviter le conflit ouvert. Il avale son oeuf en silence, espérant que l’orage va passer. Ce n’est pas le cas. Au contraire, Viviane se lève brusquement et crie :
-Allons chez Rabot, lui au moins il trouvera les mots justes.
Le couple se rend donc chez Litho Rabot. Le vieil homme est assis sur un rondin de bois devant son chalet, il confectionne un épouvantail en récitant un de ses poèmes. Viviane s’approche de lui et lui livre son angoisse à propos de la coquille de l’oeuf. Le sage l’écoute silencieusement puis il lève des beaux yeux bleus délavés vers elle. Il la rassure par une explication pragmatique : la coquille, elle aussi, peut-être recyclée :
- La boite qui entoure l’oeuf est un déchet, mais pas la coquille.
Viviane insiste :
-Pourtant la coquille est cassée et, la plupart du temps, jetée. J’aimerais un monde sans toutes ces pertes, n’est-ce pas ce que vous nous avez toujours enseigné ? Je ne perçois plus la distinction entre un déchet naturel et une pollution.
-La nature est ainsi faite, la coquille joue son rôle. Elle n’est pas un déchet mais un emballage naturel, elle trouve sa place dans le cycle naturel.
-Alors la coquille n’est pas une pollution ?
-Non, bien sûr que non, la nature a voulu la coquille, cette dernière ne pollue pas.
L’emballage, lui, a été créé par l’homme, c’est l’homme qui génère la pollution : toujours. C’est même sa nature. Par contre, ce que la nature fait ne peut pas être une pollution, jamais. 
Viviane s’apaise, s’installe à côté de son mentor et l’aide à terminer l’épouvantail qu’il a commencé.
Adam préfère les abandonner et se réfugier dans sa cave.

*


Trois mois plus tard, en plein été, Adam est venu seul dans sa parcelle. Le soleil est accablant, depuis trop longtemps et la sécheresse s’est installée. Il travaille sur les pieds de vigne, reprenant les gestes ancestraux de ses ancêtres. Viviane ne l’accompagne rarement et il ne réclame pas sa présence. Adam veut créer cette année un crû exceptionnel et il ne compte pas ses heures pour y parvenir, quitte à y sacrifier sa santé ou sa compagne qui continue à vouloir laver plus vert que vert. La parcelle de Rabot est devenue une zone luxuriante où des animaux viennent trouver refuge. Les oiseaux, eux, tentent de manger les pêches ou sont chassés par les épouvantails. Sur la parcelle de Wini Robot, ce sont des bruits de coups de feu qui accueillent les ailes et les becs. Aussi se concentrent-ils sur la parcelle d’Adam. Ces animaux représentent une menace pour sa production, aussi se décide-t-il à tendre un filet synthétique pour leur interdire le passage.Vers 11 heures, en effrayant les oiseaux, un des robots vignerons comme il les appelle, au grand dam de Viviane, prend feu et propage rapidement des flammes à la vigne. Adam tente de maîtriser le sinistre mais il n’y parvient pas. Au contraire ses vignes sont dorénavant atteintes. Le feu s’étend maintenant sur sa propre parcelle. C’est avec soulagement qu’il entend les sirènes des pompiers se rapprocher. 

Trois camions s’immobilisent sur le vieux chemin de pierre. Des pompiers courent, déroulent des tuyaux et inondent le site. Adam est désorienté par les fumées, il tousse au point de manquer de s’évanouir. Dans une demi-conscience, il se sent tirer vers l’arrière par une main bienveillante. Il éprouve aussitôt la sensation irrationnelle que c’est la main d’une femme qui le conduit à l’air libre. Il tousse encore quelques fois. Le gant noir disparaît de son épaule et c’est sans surprise qu’Adam entend une voix féminine donner quelques instructions. Adam est assis sur une pierre lorsque la pompier enlève son casque, libérant une crinière blonde qui vient illuminer la noirceur de sa tenue de combattante du feu. Adam est ébloui, il bafouille en la remerciant. La jeune femme sourit et se présente :
-Coleen Brie, capitaine des pompiers.
Elle débranche sa bonbonne et respire à pleins poumons. Puis elle tourne son regard vers le pêcher de la parcelle de Rabot, cueille un fruit et le croque à pleines dents :
-Cette pêche est délicieuse. Vous devriez en prendre une.
Elle lui tend une pêche, dans un sourire. Adam tousse encore deux fois et mange à son tour, se régalant du jus :
-C’est très bon, vous avez raison.
Au village, la nouvelle de l’incendie se répand vite et nul n’ignore l’importance des dégâts. Le soir, sur la terrasse de son habitation, Adam décompresse en s’offrant un verre de son vin rouge. Viviane, elle, est excédée : sécheresse ou pas, tout est la faute de ces foutus robots. Ces machines infernales devraient être interdites. Adam rétorque que ce sont les robots eux-mêmes qui ont appelé les secours et que sans eux il serait peut-être mort dans les fumées. Mais Viviane n’en démord pas : des plantes sont mortes aujourd’hui à cause de ces engins et à cause de la rentabilité économique. Heureusement, dit-elle encore, la parcelle de Rabot n’a pas été touchée et cela est finalement l’essentiel car là, au moins, non seulement il n’y a pas de machine mais en plus la biodiversité est très développée.

Adam écoute Viviane distraitement. Depuis plusieurs semaines, il ne la comprend plus. Certes lui aussi est inspiré par le respect de la nature mais Viviane va trop loin. Elle a dorénavant ôté l’électricité de son poulailler, pour éviter les champs électromagnétiques, nocifs, selon elle, aux cerveaux des poules et donc à leurs oeufs.
Adam voit sa compagne vociférer devant lui mais ses pensées ne peuvent se détacher de Coleen. Il lui doit sans doute la vie et il ne peut oublier l’intensité de son regard. Ils n’ont pourtant échangé que quelques mots : un merci, une invitation à visiter la cave et deux ou trois autres banalités. Et puis il y a eu la pêche. Il a accepté, pour oublier le goût de la fumée et pour se désaltérer. Adam est revenu avec une autre pêche et il veut la donner à Viviane. Mais cette dernière s’offusque : comment Adam a-t-il pu voler un fruit sur la parcelle de Rabot. Jamais elle ne touchera à ce fruit :
-Non Adam, je ne mangerai pas cette pêche. Et tu n’aurais jamais du la couper. C’est la nourriture des oiseaux pour éviter qu’ils ne dévorent la vigne. En croquant dans cette pêche, tu romps l’équilibre de la nature.
-A propos, j’ai placé le filet. Je n’ai pas pu faire autrement sinon les oiseaux allaient tout dévorer.
-Nous nous étions promis de ne pas utiliser ce moyen.
-Je n’ai pas eu le choix.
-Mais que vont devenir les oiseaux alors ?

Le lendemain, le soleil est accablant dès le matin. Adam retourne sur sa parcelle pour mieux évaluer les dégâts et pour arroser les ceps. De son côté, Viviane donne de l’eau à ses poules puis file chez Rabot pour discuter des robots.
Depuis quelques jours, le vieil homme s’est réfugié dans une caverne située au fond de sa propriété.
Les yeux de Viviane lui font mal lorsqu’elle pénètre dans la grotte autour de laquelle tournoie une nuée d’oiseaux. Viviane descend quelques mètres, contourne les cendres d’un ancien feu et un épouvantail planté un peu plus loin, et finit dans le fond de la cavité naturelle. Rabot s’y trouve assis sur une pierre. Le lieu a du servir autrefois d’étable ou d’écurie, comme en atteste des anneaux fixés à la paroi et qui devaient sans doute permettre d’accrocher des chaines. Il y fait naturellement frais depuis des temps immémoriaux. Rabot invite Viviane à s’installer à côté de lui. Viviane lui explique l’incendie de la veille. Le vieil homme hausse les épaules et indique que cela est sans importance.
Il réclame le silence. Un bruit provient de l’entrée et vient se répercuter dans la caverne jusqu’à leurs oreilles. « C’est mon âne » conclut Rabot puis il poursuit
-Tout est différent ici. C’est le calme et la sérénité, à l’abri du monde et surtout, nous ne perturbons plus la Nature. Au contraire nous la protégeons en ne l’agressant pas. Ici il n’y a plus de différence entre l’homme et la nature. D’ailleurs regarde bien…
A ce moment, l’ombre de l’âne qui passe devant l’entrée de la caverne, vient se projeter sur la paroi du fond et danse derrière Rabot. Ce dernier se lève, créant une nouvelle ombre, qui se mélange avec celle de l’âne pour ne plus en former qu’une seule :
- L’humanisme et l’écologie sont enfin réconciliés dans la paix. Ici la terre nous protège du réchauffement climatique et nous n’abîmons pas la biodiversité. Voilà l’enseignement de ce coin de paradis. Mon âne me parle et je le respecte. S’il veut entrer, il peut mais je ne lui impose pas. Tu es venue, tu es la bienvenue. Nous sommes faits pour nous aimer les uns les autres.

Pendant ce temps Adam est retourné dans sa cave, là où il confectionne ses vins depuis toujours. Il chante de joie car Coleen lui rend visite. Dès que la jeune femme arrive, il la fait entrer et lui explique son travail, sa passion. Ils décident assez vite de se tutoyer. Elle écoute attentivement. Ingénieure de formation elle comprend rapidement le processus, ses enjeux et ses risques. Adam parle avec enthousiasme, sans s’arrêter. La jeune femme boit ses paroles durant toute la visite privée. Puis ils s’installent devant une vieille barrique, autour d’une table et Adam débouche une bouteille de son premier millésime :
-Ce n’est pas le meilleur mais c’est celui qui compte le plus pour moi. Le vin de l’origine, alors que j’étais encore seul pour tout préparer.
L’officier apprécie le breuvage:
-C’est un plaisir de t’avoir rencontré. Ton métier me fascine. Tu incarnes une vieille tradition. Moi je travaille sans cesse dans l’urgence, je ne fais qu’éviter le pire. Toi, tu crées.

*

L’automne s’achève, les oiseaux migrateurs sont déjà repartis, les autres s’abritent et disparaissent des regards. Adam travaille en cave. Il a scrupuleusement acquis, en regardant et en écoutant son père et son grand-père, un savoir-faire qu’il utilise aujourd’hui dans le secret de ses installations. Il goûte les jus des raisins, il regarde leurs couleurs, il évalue la fluidité de leurs mouvements, il s’imprègne de la température de l’air… La liste de ces gestes séculaires est longue. Il veut donner naissance à un nouveau millésime et ce don réclame le calme et l’amour. La quiétude des lieux est troublée par le surgissement de Viviane. Elle annonce que toutes les poules ont été dévorées par le renard. Adam s’approche et veut la prendre dans les bras pour la réconforter. Il se veut encore bienveillant alors qu’il a expliqué cent fois qu’il faut fermer la porte du poulailler pour la nuit. Mais Viviane feint de ne pas comprendre le mouvement des bras d’Adam. Au contraire, elle recule et gonfle le torse :
-Cela pouvait arriver, j’en suis consciente. Mais je ne pouvais plus supporter d’enfermer mes poules, tu le sais. Et puis c’est la nature, le renard aussi doit manger.
Adam hausse les épaules et retourne vers sa citerne, il marmonne entre ses dents :
-Ta vision de la nature devient délirante. Tes poules sont mortes maintenant. A cause de toi ! Tu comprends, elles sont mortes.
Viviane pose la main sur l’épaule d’Adam :
-C’est toi qui ne comprends rien. Il y a trop de poules dans la nature, à cause de nous. Nous les élevons en batterie. Trop de poules, pas assez de renard. Mes poules sont mortes pour la grande harmonie de la nature. 
Adam ricane :
-Tu devrais ouvrir les portes d’un poulailler industriel alors…
-J’y pense ! Et je ne suis pas la seule à y penser. Il faut retrouver un équilibre naturel, certaine espèces sont trop présentes sur terre… déstabilisent l’harmonie et donc menacent la biodiversité…
*


Quelques mois plus tard, tous les viticulteurs de la région ont rejoint la salle de leur confrérie pour le concours du meilleur vin. La compétition se déroule le plus sérieusement du monde et à l’aveugle. Adam est présent bien sûr mais également Rabot et la société de Wini Robot. La salle est comble. Viviane n’est pas venue car le vin ne l’intéresse plus. Elle a compris que le vin était le fruit de la vigne ET du travail des hommes. Cette association est, à ses yeux, le signe d’un péché trop profond. Elle a pris ses poules et elle a quitté Adam. Elle s’est installée dans la caverne de Rabot.
Adam, lui, est venu avec Coleen et lui tient amoureusement la main.
Vers midi, le jury apparaît enfin sur l’estrade. Le silence s’installe rapidement et toutes les oreilles se tendent vers le président qui annonce le nom des médailles d’or et d’argent : respectivement Wini Robot et Adam.
Le directeur technique de la société victorieuse s’avance pour recevoir sa médaille et en profite pour prendre le micro :
-C’est un grand moment pour nous. Notre travail rigoureux est aujourd’hui récompensé. Nous avons beaucoup investi, nos ingénieurs ont beaucoup cherché et voilà le résultat : un vin en or ! Certains d’entre vous s’inquiètent sur l’avenir de notre métier. Je vais être clair, nous avons robotisé tout ce qui pouvait l’être mais notre spécificité de vigneron appris de nos ancêtres est intact. Je pense que mon père serait fier de ce vin. Ce talent il ne peut pas être informatisé ! Et puis surtout, plus important encore, et je crois que nous tomberons d’accord sur ce point : ce sont les hommes qui boivent le vin, pas les machines ! Encore merci et santé !
Pendant la réception, Litho Rabot vient saluer Adam et le félicite, à sa façon :
-Bravo pour ta médaille mais c’est sans importance car elle ne représente rien pour la nature. Je suis content pour toi, bien sûr, mais vraiment je préfère mon vin, totalement naturel.
Adam est blessé par cette nouvelle réflexion venue de celui qui a ensorcelé son ancienne compagne. Coleen vient à son secours : 
-L’alcool n’est pas naturel et les animaux n’en boivent pas. Le vin, c’est l’homme. Pas d’homme, pas de vin. Pas d’homme, pas de terroir non plus. Pourquoi donc continuez-vous à produire votre vin? J’en ai bu, c’est du vinaigre ! Moi j’aime le vin d’Adam. 
Litho Rabot hausse les épaules :
-J’aime mon vin et ceux qui aiment la nature l’aiment aussi, c’est cela l’important. J’avais placé un pêcher et j’avais bien demandé que l’on ne touche pas à ses fruits. Mais tous les enfants sont venus pour y croquer à pleines dents. Alors les oiseaux ont mangé ma récolte et détérioré sa qualité. Est-ce si compliqué pour les hommes de respecter une consigne ? Ce pêcher, c’était la garantie du Paradis, pour les hommes et pour les animaux ! Et tout le monde a croqué dans les pêches !
Il ralentit le rythme de sa voix pour s’assurer que les responsables de Wini Robot entendent bien :
-Quand le réchauffement climatique aura détruit l’homme, il n’y aura plus de vin du tout.
Ni bon, ni mauvais. Il n’est pas trop tard mais il est temps : abandonnons la pollution et ces robots qui détruisent les vignes. Revenons tout de suite à la nature sinon nous mourrons tous. Faites comme moi, placez des épouvantails ! C’est une urgence pour la Nature et pour l’Homme, car l’un ne va pas sans l’autre.

©François-Xavier HEYNEN – avril 2019 – www.philofix.be

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