La certification halal pour unir circuit-court et préférence nationale ?
La récente reconduction de la certification halal du sirop
de Liège a provoqué quelques commentaires rappelant que ce sirop était un
produit bien ancré dans la tradition wallonne et qu’il n’avait pas à se plier à
des diktats religieux[1].
Aussitôt ces propos ont été qualifiés d’islamophobes par d’autres. Il nous
semble que ce débat ne conduit pas très loin. Par contre il nous semble
pertinent de nous intéresser à cette «
certification halal », en s’interrogeant
sur sa propre « halalité », en examinant sa justesse politique et en
la mettant en relation avec les concepts de « circuit
court » et de « préférence
nationale ».
La certification halal
d’un objet signifie « tout simplement » que cet objet est permis pour le
musulman, ni plus, ni moins. Autrement dit, il répond à des prescrits religieux
définis par la communauté musulmane. Le caractère halal s’applique également
aux comportements, politiques... Pour un
commerçant, il est utile de vendre des objets halal puisque son marché
potentiel s’agrandit. L’Etat rencontre un intérêt économique similaire :
cela lui permet de réduire ses importations et d’augmenter ses exportations, ce
qui est avantageux.
Mais…
Economiquement,
l’opération peut s’avérer risquée si l’attribution du label génère une perte de
clientèle non comblée par le nouveau marché. Ou si les frais inhérents à la
certification rendent les produits moins concurrentiels.
La levée de boucliers
virtuels qui a entouré la re-certification halal du sirop de Liège aura sans
doute un impact sur les ventes locales mais nous sommes incompétents pour en
juger. Par contre, en termes idéologiques, il nous semble intéressant d’examiner
la réaction à cette opposition[2].
La certification halal est-elle halal ?
Le patron de la siroperie,
surpris par la contestation, ne voyait lui dans sa démarche qu’une méthode pour
mieux s’implanter dans certains pays. D’ailleurs, pour lui : « cela n’a rien de religieux : nos
produits sont hallal par définition. »[3] Une déclaration qui nous semble
extrêmement problématique, un peu comme pourrait l’être l’affirmation : « le label bio n’a rien à voir avec
l’écologie ».
En effet l’une des
caractéristiques de la certification halal est bien, en plus d’une série de
critères à respecter, la présence d’un représentant religieux. La décision qui
est prise relève clairement d’une religion. Le nier, c’est mépriser le consommateur
qui lui s’inscrit dans une quête religieuse. En fait, les propos du responsable
mettent simplement en évidence que le certificat halal est une formalité
administrative pour augmenter ses parts de marché. La question que l’on
pourrait alors renvoyer à l’instance musulmane qui statue sur ce certificat est
la suivante : instrumentaliser l’islam de la sorte pour le transformer en
outil commercial, est-ce, en soi, halal ?
Cette certification
halal pose d’autres questions. Cette fois par rapport au rôle de l’Etat. Nous
avons déjà eu l’occasion de l’évoquer (voir notamment notre article sur lesDiables Rouges), l’Etat moderne est construit sur la neutralité, principalement
par rapport aux religions (la séparation Etat
– Eglises). A contrario, l’existence d’un certificat halal (ou
kasher ou de n’importe quelle autre religion) introduit un jeu trouble entre
les communautés religieuses et l’Etat. Comment l’Etat choisit-il le bon
certificateur sans, d’une façon ou d’une autre, choisir telle tendance
religieuse par rapport à telle autre ? Un produit certifié halal par tel
imam le sera-t-il par tel autre ? Tous les rabbins ont-ils la même
définition de ce qui est ou pas permis ?
Comment donc l’Etat, en restant neutre, pourrait-il désigner celui qui
décidera ? Ou même, plus modestement, en faire la promotion ? De
plus, il existe aussi un effet sur les croyants eux-mêmes : en quoi un
Etat est-il habilité à interpréter, même indirectement, un texte sacré pour
leur imposer sa vision plutôt qu’une autre ?
Ici aussi certains
argueront que cela importe peu si, au final, les ventes augmentent et donc
l’emploi. L’intérêt économique est-il supérieur à l’impératif de neutralité
d’un Etat ?
Circuit-court
et préférence nationale : même
combat ?
Mais ce qui a suscité
les remarques les plus virulentes, c’est l’opposition entre le caractère
traditionnel de ce sirop et sa certification halal[4]. Il nous semble pertinent de noter à
ce sujet le caractère paradoxal de cette contradiction.
D’une part le
caractère traditionnel participe à une forme de nationalisme. Depuis des
dizaines d’années, le sirop de Liège fait partie du paysage des autochtones.
C’est un élément fédérateur autour duquel les gens de la région peuvent se
rassembler. Il s’est érigé en symbole.
Toucher à un symbole,
ce qui peut être assimilé à un blasphème, peut provoquer des réactions irrationnelles
et/ou virulentes. Blessés dans leur intimité, certains ont ressenti la
certification halal comme une agression. Peut-être ce sentiment et la violence
des réactions sont-ils très différents si l’on parle d’une certification destinée
au marché intérieur plutôt qu’à celui de l’exportation. Nous ne voulons pas
entrer dans ce débat, nous nous contenterons de mobiliser le terme de « préférence nationale »,
déclinée ici dans une variante de « défense
du territoire » qui désigne l’inclination de certains autochtones à
s’opposer à la reconnaissance halal au nom de la tradition locale.
D’autre part, nous
aimerions apporter un autre élément de réflexion en examinant l’autre bout de
l’échiquier politique habituellement défini : entrons dans l’univers
idéologique du développement durable, de l’alter-mondialisme et de…
l’anti-capitalisme. De ce côté aussi, la
certification halal défendue par l’AWEX[5], devrait être conspuée. Premièrement car
elle s’écarte immanquablement du concept de « circuit-court ».
Ce dernier, pour rappel, veut que la vente d’un produit s’effectue avec un
intermédiaire au maximum entre le producteur et le consommateur.
Ensuite, elle est basée,
comme nous l’avons vu, sur des enjeux commerciaux. Et l’on pourrait même
affirmer (en se fiant, par exemple, aux propos du patron de la siroperie) :
purement commerciaux (ce que
d’aucuns nommeront capitalisme).
Ce qui nous permet de
poser cette dernière question qui nous semble éclairer le fond de la polémique :
et si, dans cette affaire, les frères ennemis se retrouvaient objectivement sur
la même ligne idéologique ? « préférence nationale » et « circuit-court »
pourraient-ils être deux facettes de la même motivation ?
[1] La situation est
clairement résumée dans cet article du Courrier International : http://www.courrierinternational.com/article/belgique-pas-de-panique-le-sirop-de-liege-etait-deja-halal-la-salade-aussi
[2] Pour information, La
Libre laisse entendre que certaines de ces réactions pourraient être
téléguidées par la concurrence, mais ce n’est pas l’objet de notre propos. http://www.lalibre.be/actu/belgique/sirop-de-liege-le-marche-du-halal-continue-de-cristalliser-les-polemiques-55ca21d73570b54653389c9f
[3] http://aubel.blogs.sudinfo.be/archive/2015/08/08/le-vrai-sirop-made-in-aubel-desormais-certifie-pour-le-march-158459.html
[4] Voir par exemple
l’attitude de l’ancien chef de file MR verviétois qui rapporte son pot de sirop
à la siroperie: http://www.lameuse.be/1351896/article/2015-08-11/sirop-de-liege-halal-scandalise-l-ancien-chef-de-file-mr-vervietois-ramene-son-p
[5] Il s’agit évidemment
de viser le marché international, ce qui s’effectue rarement sans intermédiaires
: http://www.clubhalal.be/fr-accueil.html