jeudi 6 août 2015

Et s’il mesurait plutôt le plafond de son musée ?




Et s’il mesurait plutôt le plafond de son musée ?

Rappel des faits : la statue « L’homme qui mesure les nuages» est placée sur un très beau point de vue de la Citadelle de Namur. Il y a peu, on  a gravé un discret « W » au pied de l’œuvre. Conséquence immédiate : les assureurs ont imposé que le lieu soit interdit au public. La presse a parlé de vandalisme et/ou de geste idiot. Placer des œuvres dans un espace public, c’est prendre des risques : exposer, c’est s’exposer. Mais interdire ensuite cet espace au public, pour des raisons financières, qu’est-ce ? N’y a-t-il pas dans ce repli la signature d’une double réalité plus profonde : la sacralisation non assumée et l’argent omnipotent?  


Nous avons déjà eu l’occasion dans notre article « Le Tricot urbain : de l’art citoyen ? »[1] d’évoquer la question de tricots, exposés dans les lieux publics, qui avaient été dégradés par des inconnus. Nous restons dans un registre similaire. Cette fois, dans le cadre d’une manifestation clairement artistique, un créateur de renom expose des œuvres, directement accessibles dans l’espace public : pour rapprocher la population de l’art, dans un esprit pédagogique ou citoyen... Le public s’est emparé du lieu, comme le prouvent les photos qui ont fleuri sur internet. Et un beau matin, on découvre un « W » gravé au pied de l’œuvre. Subitement tout ce bel édifice s’écroule : le site est fermé[2].
Voyons cela en détails. L’offense tout d’abord :  le « W ».  Un geste idiot ? Idiot au point d’avoir formé par hasard un « W » ? Nous postulerons que celui (ou celle) qui a gravé le « W » n’était pas un fou et qu’il voulait exprimer un message. Si vous pensez qu’il est fou, ce qui est très commode au demeurant, nous vous invitons à vous interroger sur le sens de ce terme[3]. Que peut donc signifier ce « W » ? Les trois hypothèses les plus réalistes : une preuve d’amour (pour William, Walter…), un acte politique (à revendication communautaire ?) ou un défi culturel. Nous retiendrons cette dernière possibilité, même si elle est inconsciente. En dégradant l’œuvre, n’y a-t-il pas comme une réponse, par l’absurde peut-être, à l’intention proclamée des organisateurs de rendre l’art plus proche des gens ? Nous utiliserons le terme de désacralisation au sens où le sacré[4] est ce qui est coupé du monde, ce qui est placé dans une dimension intouchable que l’on ne peut plus atteindre sans une série de codes, au risque de commettre un blasphème. Le musée est le lieu qui protège les objets devenus sacrés. Un cérémonial est nécessaire pour avoir le privilège d’y entrer, aussi bien pour les œuvres que pour le public, et des gardiens protègent le temple.
Sortir l’œuvre d’un musée pour la mettre en rue, c’est prendre le risque de la désacralisation. Cela nécessite une approche différente de l’art. Et il faut en assumer les conséquences. L’artiste doit comprendre que son oeuvre n’est plus sacrée. Elle redevient un objet parmi de nombreux autres objets. Un objet que l’on peut apprécier, que l’on peut même admirer, mais dont on peut aussi se servir et qui risque donc de se dégrader. D’ailleurs l’acte de sortir l’œuvre du musée peut être perçue, en soi, par certains comme une dégradation. Face à cette nouvelle réalité, l’artiste peut se résoudre et accepter les outrages du temps, il peut aussi utiliser des copies ou bien il peut tenter de re-sacraliser l’œuvre. Autrement dit, effectuer un retour à la case musée. Mais il doit être bien clair que ce n’est pas l’acte de dégradation qui sera responsable de la re-sacralisation.
L’impression que nous laisse la réaction de l’organisateur est celle-ci : « nous affirmons que nous sortons l’oeuvre du musée mais en réalité nous étendons le musée dans l’espace public. Car nous n’assumons pas les conséquences qu’implique un contact direct avec la population. » Autrement dit : vous ne voulez pas venir au musée ? Le musée viendra à vous, mais il gardera ses règles.  
Cette réaction est compréhensible car elle vise à protéger des créations artistiques, c’est-à-dire un travail qui touche à l’intimité profonde du créateur. Toutefois, dans le cas présent, un élément supplémentaire perturbe notre réflexion. Si l’organisateur n’assume pas, par contre il assure. L’argent s’invite ici dans l’équation. D’après ce qui a été dit à la presse, le site est aujourd’hui inaccessible pour répondre aux exigences des assureurs. Si l’on re-sacralise « L’Homme qui mesure les nuages », c’est au nom de l’argent. Non seulement, l’organisateur n’assume plus la désacralisation de l’œuvre mais il n’assume pas non plus la re-sacralisation. Il présente le « W » comme un acte de vandalisme montrant que le public n’a rien compris et se cache derrière les diktats des assureurs. Et ainsi est exposé d’une part le fossé réel entre le public réduit à un rôle de consommateur inactif et d’autre part le rôle prépondérant de l’argent dans l’art. Etait-ce l’objectif de la manifestation ?
En attendant tous les visiteurs de la Citadelle sont privés d’une vue exceptionnelle sur le Vieux Namur et l’ « Homme qui mesure les nuages » n’est plus visible que de très loin. Et s’il retournait au musée ?






  Actuellement, le visiteur devra s'arrêter ici (photo du 6/08/2015)


[2] http://www.lesoir.be/953557/article/actualite/regions/namur-luxembourg/2015-08-04/namur-l-expo-rops-fabre-victime-son-enorme-succes
[3] Par exemple, avec QUETEL Claude « Histoire de la folie : De l’Antiquité à nos jours »,  Editions Tallandier, 2012. (http://www.amazon.fr/Histoire-folie-lAntiquit%C3%A9-nos-jours/dp/2847349278/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1438853367&sr=8-2&keywords=histoire+de+la+folie )

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