Les Mots à la Dérive #8 : Technophobie, la peur ou la haine?
Notes étymologiques :
Examinons cette fois les termes formés avec le suffixe
"phobos". Ce mot grec a donné naissance à trois branches sémantiques.
Sur la première branche, "phobie" désigne une aversion naturelle tel le mot "hydrophobe", qui s'applique à la cire ou aux alcanes.
La seconde branche utilise le sens originel de "phobos", à
savoir la peur, pour forger les concepts de claustrophobie, agoraphobie... Il
est alors question d'une crainte, d'allure pathologique.
Enfin, c'est la troisième branche, d'autres mots ont été construits
en donnant à la racine "phobos" la signification d'hostilité. Parmi
les exemples venus d'un autre temps, notons "anglophobe" ou
"germanophobe" et depuis peu, "technophobe".
La dérive sous nos yeux :
Depuis quelques années, le terme "technophobie" est apparu dans le champ lexical français. Mais, dans un premier temps, sans
définitions précises, il a désigné des réalités très différentes, en
fonction de la branche à laquelle le locuteur le rattachait.
Prenons par exemple une personne qui n'aime pas être en contact avec
des machines et préfère le contact humain, ou qui a peur de devoir utiliser un
ordinateur, elle pourrait se qualifier de "technophobe", en utilisant
la première branche sémantique, c'est-à-dire en affirmant que l'homme n'est naturellement pas
enclin à vivre avec des machines. Ou bien en se référant à la deuxième
branche : en disant qu’elle ne se sent pas capable de maîtriser la
machine et donc qu'elle en a peur. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle est prête à détruire les ordinateurs. Un
peu comme un agoraphobe n'a pas comme ambition de brûler les places vides.
Il faut pourtant en parler au passé car, dorénavant, le Larousse et
le Robert ont tranché: "technophobie" a été défini en le plaçant sur la
troisième branche: l'hostilité. Il nous semble pourtant que nous avons
régulièrement entendu le terme "technophobie" pour désigner non pas
la haine des machines mais bien la crainte devant certaines conséquences personnelles ou sociétales.
Piège étymologique
Ceux qui souhaiteraient tout de même évoquer une peur face aux nouvelles technologies ne disposent pas de mot, comme si cette peur
n'était pas souhaitable par le lexique. Certes, les phobies ont une
connotation pathologique et laissent entendre que ceux qui en sont atteints
sont des malades. Ainsi, si la définition retenue par les dictionnaires avait été
accrochée à la deuxième branche, celle de la peur, se déclarer
"technophobe" aurait pu entraîner la
reconnaissance par le monde médical de cette maladie. Avec, pourquoi pas?, des conséquences à
prévoir sur la Sécurité sociale? Cependant le technophobe aurait alors été
considéré comme une personne affaiblie, pas comme un criminel en puissance.
Un piège étymologique est dressé par le français contre celui qui a peur des machines, par une sorte de courroie de transmission lexicale: tu as peur de X, donc tu es Xphobe, donc tu hais X.
Un piège étymologique est dressé par le français contre celui qui a peur des machines, par une sorte de courroie de transmission lexicale: tu as peur de X, donc tu es Xphobe, donc tu hais X.
sautalélastiquophobe
J'ai par exemple peur de sauter à l'élastique. Que des gens sautent à
l'élastique ne me dérange pas et je ne leur suis pas hostile. Je veux même bien
les encourager. Je peux, par la raison, admettre, que sauter à l'élastique ne présente finalement que peu de risques. Mais, malgré cela, j'ai peur de sauter à
l'élastique. Je peux être traité de peureux et de pantouflard car, à juste
titre, on m'expliquera que l'élastique est résistant et qu'une poussée d'adrénaline me
ferait le plus grand bien. Puis-je m'auto-taxer de « sautalélastiquophobe », en
me référant à une aversion naturelle ? Cela ne gênera pas grand monde, même parmi les personnes qui sautent à l'élastique. Elles ne se sentiront
pas agressées parce que je dis que je n'aime pas sauter à l'élastique. Et s'il
me venait à l'esprit l'idée morbide de couper leur élastique, alors je serais un
criminel, et l'on pourrait me qualifier de criminel « sautalélastiquophobe ».
A priori pourtant, si ce néologisme devait rejoindre un dictionnaire, il ne serait pas étiqueté "hostilité" mais plutôt "aversion" ou, plus probablement, "pathologie". Et donc, lors de mon procès pour avoir coupé cet élastique, mon avocat pourrait invoquer des circonstances atténuantes justifiées par ma faiblesse mentale. Alors que si la « sautalélastiquophobie » était classée sur la branche de l'hostilité, elle aggraverait mon cas et je pourrais être inculpé d'assassinat.
A priori pourtant, si ce néologisme devait rejoindre un dictionnaire, il ne serait pas étiqueté "hostilité" mais plutôt "aversion" ou, plus probablement, "pathologie". Et donc, lors de mon procès pour avoir coupé cet élastique, mon avocat pourrait invoquer des circonstances atténuantes justifiées par ma faiblesse mentale. Alors que si la « sautalélastiquophobie » était classée sur la branche de l'hostilité, elle aggraverait mon cas et je pourrais être inculpé d'assassinat.
Pour les machines, les dictionnaires ne retiennent pas la peur mais bien l'hostilité, ou peut-être, la conviction que la peur conduira immanquablement à l'hostilité. Pourquoi ?
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