Cet article a été publié sous la forme d'une carte blanche dans "Le Vif", le sujet est en outre développé sous une forme humoriste sur la page facebook "Ancien Système"
Et si les événements que nous traversons ne constituaient pas une crise mais bien plutôt une suite historique annoncée dès la fin du 19eme siècle par Nietzsche et reformalisée un siècle plus tard par Lyotard? Autrement dit : l'avènement de Trump, l'élection de Macron et, dans une plus modeste mesure les soubresauts politiques wallons peuvent-ils être considérés comme les signes de la fin d’une période historique: celle de la Modernité et de son organisation politique actuelle. En référence à l'Ancien Régime, nous proposerons l'appellation d’Ancien Système. Et pour que ce dernier advienne, quels meilleurs acteurs possibles que des "systémo-sceptiques" ?
Les
grandes promesses de la Modernité avaient été : liberté, égalité,
fraternité ou bien encore autonomie de l’individu par rapport au roi et
par rapport à la religion via le développement de la raison. Très tôt,
des voix se sont élevées pour indiquer les dangers inhérents à
l’individualisme et au relativisme constitutifs de ce nouveau
monde. Succédant au Roi et au Pape, d'autres grands récits fondateurs
ont donné des socles a la vie en société: Ecole, Famille, Patrie,
Sciences, Etat,... Puis peu a peu, et c'est le constat de Lyotard, ces
grands récits se sont érodés. Le monde occidental a remis en cause ses
fondamentaux idéologiques. L'avenir nous dira si l'on doit parler d'une
crise interne de la Modernité ou du passage vers la Postmodernité, bâtie
sur d’autres bases.
Il
nous semble que les avènements de Trump et de Macron et l'enlisement
des partis wallons plaident en faveur de cette deuxième option. Il
s'agit dans les trois cas de remises en cause de la
Modernité par les citoyens, à des titres divers, de la raison, de la
liberté et de la démocratie.
Dans
cette approche, les « affaires » révélées par la presse ne sont pas la
cause du rejet des partis mais un prétexte pour exprimer une fatigue
plus profonde. La fatigue face à la démocratie telle qu'elle a été
exercée depuis des décennies. Autrement dit, le Parti qui pouvait être considéré comme un
Récit (au même titre que la Patrie, la Famille ou l'Ecole) se voit lui aussi
délité. Tout comme l'autorité du Roi divin, puis celle du curé, puis celle du chef
de famille, celle de l'instituteur... ont été balayées, vient maintenant le tour
de celle du chef de Parti.
Réactionnaires
Il
peut exister des attitudes réactionnaires, comme celles de personnes
qui rêvent de l'ancienne Ecole ou qui veulent le retour aux vraies
valeurs. La Réaction c’est la tentation du retour au régime précédent
présenté comme meilleur et indépassable à l’encontre du courant
dominant. Les réactionnaires ne parviennent pas à sortir de leur système de
pensée, souvent par incapacité ou par intérêt, et entament une folle course
contre le temps qui, avec un peu de recul, peut prêter à sourire. C’est
le vieil instituteur convaincu que le bonnet d’âne est une méthode
pédagogique confirmée et qui se fend d’un ouvrage destiné à le
réhabiliter. C’est le facteur qui se bat contre l’email ou le taximan
qui veut interdire l’uberisation. Et si c’était aussi les ténors du
Parti faisant valoir leur statut de détenteurs uniques de la Démocratie ?
En
suivant ce raisonnement, ils nous semble que certaines attitudes
s’éclairent. Si, comme nous le soutenons ici, les réactionnaires sont ceux
et celles qui aujourd’hui prétendent qu'en-dehors des partis politiques
traditionnels ne peuvent exister que les anti-démocrates, les idiots,
les extrémistes et autres individus infréquentables alors il nous faut
admettre que les représentants du futur se trouvent justement parmi ces
gens aujourd’hui montrés du doigt et que nous qualifierons de "systémo-sceptiques". Ces derniers peuvent être anti-démocrates
s’ils souhaitent la fin de la démocratie, ou démocrates s’ils
considèrent, par exemple, que les relations entre les politiciens et le
monde économique sont préjudiciables aux citoyens ou bien encore que la
particratie est une confiscation de la démocratie.
Pour ce dernier point, la
critique est connue : pour être élu, le candidat doit impérativement
figurer en ordre utile sur la liste d’un parti important. C’est le
Parti qui établit l’ordre des candidats, c’est donc le Parti qui choisit
les futurs élus. N’iront au pouvoir que ceux qui auront été
sélectionnés par le Parti, le pouvoir est donc au Parti, il s’agit donc
d’une particratie. Certaines personnes considèrent que ce système
politique, qu’ils refuseront de nommer particratie, n’est pas un
problème pour la démocratie. D’autres y voient une captation
anti-démocratique du pouvoir. Ces derniers, des systémo-sceptiques,
s’inscrivent dans le mouvement de déconstruction des grands Récits
que nous évoquions plus haut.
Systémo-sceptiques
Que
l’on se comprenne bien, il ne s’agit pas de dire que la dissolution des
Partis est nécessaire parce qu’ils seraient composés de trop nombreux
mandataires véreux. Ce qui est en jeu ici c’est la dissolution du
principe même de Parti car il est un Récit né dans la
Modernité. Les « affaires » précipitent peut-être le mouvement car elles
focalisent l’attention sur un (ou plusieurs) parti(s) et mettent en
lumière les agissements honteux de certains membres du parti. Mais c’est
bien le caractère systémique de ces « affaires » qui pousse à la
réflexion
: les personnages suspectés ont bien été placés par le Parti, les
lois qui ont rendu ces pratiques possibles ont bien été votées par le
Parti et le « jugement » des "coupables" est bien effectué par
le Parti. Pourtant le Parti refuse d’évoquer un caractère systémique à
ses errements.
Pour
justifier le système actuel, autrement dit pour sauver le Récit, il est
possible soit de nier ou de minimiser les critiques particratiques,
soit de les admettre et de
se satisfaire de la situation en affirmant, grosso modo, que les autres
systèmes politiques seraient pires.
Mais
une part non négligeable des citoyens, ceux que nous avons nommé les systémo-sceptiques, ne se satisfait plus de ces deux
justifications et demande une remise en cause du système actuellement en
place, ce qui, selon nous, pourrait être assimilé à la déconstruction
du Récit du Parti. Pour les systémo-sceptiques, il est
inconcevable que les
politiciens actuels soient impliqués dans la gestion de la situation
parce que leur seule présence dans le Parti signe leur appartenance au
système. Cela ne signifie pas que ces politiciens soient malhonnêtes ou
traitres mais bien qu’ils croient encore dans le Récit du Parti. Ils
ne perçoivent pas l'évolution ou la nient ce qui est synonyme de
discrédit si l'on adopte, comme nous l'avons fait ici, la perception
d’une Histoire qui quitte la Modernité. De la même façon que, après la
Révolution Française, les aristocrates n’étaient pas forcément des
malhonnêtes ou des traitres, mais qu’il était devenu illégitime pour
eux de gouverner car leur temps était révolu.
Ancien Système
Si
les politiciens actuels constituent une partie de l’Ancien Système
(pour faire
référence à l’Ancien Régime) et devront donc, tôt ou tard, quitter la
scène, cela ne signifie pas pour autant que le reste de la population
suit l'hypothétique courant de l’Histoire. Et c’est ici que se cachent
le
vrai danger et l'opportunité à saisir. Ils sont cachés par une menace
agitée comme un épouvantail par ceux qui défendent le Système : la
constitution ou l'avènement de tel ou tel parti extrémiste. Le niveau de
cette menace nous semble peu élevé puisque, en tant que
Parti, ce nouvel avatar du Récit, disparaitrait à son tour rapidement.
Par
contre il existe un danger plus imminent : l’apparition
d’une radicalisation violente du changement, comme a pu l’être la
Terreur. Dans cette approche, le danger à venir n’est donc pas Hitler ou
Staline, mais bien Robespierre. Qui gèrera la violence si la
contestation contre le Parti quitte le domaine pacifique de l'abstention
électorale pour rejoindre la rue ?
Et
il existe aussi une formidable opportunité à saisir. Quelles valeurs,
quelles pratiques, quelles traditions allons-nous préserver ? Car bien
sûr dans toute évolution, des éléments sont conservés et d'autres
emportés. Etre opposé à l'apprentissage par coeur des tables de
multiplication ne signifie pas que l'on ne veuille plus que nos enfants
apprennent à calculer. Alors qu'allons-nous conserver ? Le respect de
l'autre ? La bienveillance ? Le profit ? La compétition ? La liberté ?
L'égalité ? La fraternité ? Tout est encore possible et c'est le
formidable projet que nous devons relever pour qu'un jour l'on puisse
parler avec soulagement de l'Ancien Système comme on le fait aujourd'hui
de l'Ancien Régime.
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