L’affaire
Polanski nous permet-elle d’ouvrir des questions philosophiques ? Elle permet
en tous les cas de s’interroger sur la morale, sur la communauté qui la crée et
sur les démocrates qui devraient rester vigilants face à son retour.
Le rôle de l’Etat est de juger M. Polanski
selon la loi en vigueur. Y a-t-il lieu de s'inquiéter à ce sujet ? Une autre
institution que la Justice est-elle plus habilitée pour gérer les crimes et
délits ? La séparation des pouvoirs est une règle démocratique
constitutionnellement établie. Certes les médias ne constituent pas un pouvoir
constitutionnel mais, dans les faits, ils forment bien un pouvoir qui devrait,
par extension, être séparé, lui aussi, des autres.
Le « débat » pourrait
s’arrêter ici mais il nous faut tout de même évoquer plus avant le volet
médiatique car il est le cœur réel de l’affaire Polanski.
Déontologie
élargie, et ensuite ?
Certaines célébrités du cinéma français
ne veulent donc pas se contenter des décisions judiciaires, elles veulent y
ajouter l'opprobre au nom de leur morale.
Cette morale, construite donc par des
membres d’une classe artistique (ou plus exactement professionnelle) ressemble
à une forme de déontologie élargie. Ce que l’on pourrait résumer par: « Pour être un bon réalisateur de
cinéma, on ne doit pas avoir des agissements comme ceux de M. Polanski ».
La communauté du cinéma français pourrait ainsi décider que sa morale n'est
pas compatible avec les agissements de Polanski. L'avantage, si l'on peut dire,
c'est que ces agissements n'ont pas besoin d'être avérés pour être amoraux. Les
sages d’une communauté peuvent disqualifier l’un des membres au nom de
l’intérêt du groupe ou de la tradition. Ainsi la cérémonie des Césars, si elle
constitue une grand messe des acteurs, peut effectivement être le lieu pour
éjecter un membre devenu amoral. Il est même légitime de le faire savoir
publiquement.
Mais le processus peut-il aller plus
loin ? Autrement dit l'exclusion d'un membre peut-il se compléter par une mise
au ban de la société…civile, via les médias ? Il s'agit ici d'une dérive
classique du communautarisme qu'il convient de combattre, au nom de la
démocratie et plus particulièrement au nom de la laïcité. Les communautés ont
régulièrement tendance à confondre leur règlement intérieur et la loi. La
neutralité des Etats modernes est l'un des acquis de ces luttes.
Notons que d’autres vedettes ne
partagent pas cette approche moralisante. Il y a un conflit interne dans ce
groupe. La communauté, est divisée et, vu la notoriété des uns et des autres, cette scission devient rapidement publique elle aussi. Nous assistons donc à une querelle
intestine qui concerne avant tout l’univers des professionnels du cinéma mais
qui s’exporte sur la place publique et vient converger avec d’autres luttes en
cours. On ne sera pas surpris de trouver dans ce clivage, sous la question
morale, des luttes de pouvoirs plus pragmatiques, voire des querelles d’egos.
Que
peut-on dire de cette morale ?
Cette morale est-elle légitime
en-dehors de son tissu professionnel ? Peut-on imaginer que Polanski, parce
qu'il est une vedette, doive subir un traitement de défaveur
infligé par ses pairs? Ce traitement
n'est pas fondé sur le droit, il vient plutôt le renforcer, voire le déformer.
A défaut d'être légal, il pourrait être moral, c'est-à-dire fondé sur le bien
et le mal.
Comme toute morale, elle peut sembler
étrange vue de l'extérieur du groupe qui la produit. Par exemple, dans le cas
présent, pourquoi Polanski est-il conspué alors que Ladj Ly (condamné notamment
à une peine de 2 ans fermes pour complicité d'enlèvement et de séquestration,
dans une affaire sentimentale) ne fait l'objet d'aucune remarque lorsqu’il
reçoit son prix ? Ceci me pousse à dire que le traitement de défaveur préconisé
par certains ne relève pas d'une véritable morale, mais bien d'une moraline,
c’est-à-dire de quelques bons sentiments qui ne se basent pas sur un
raisonnement moral cohérent.
Il n’y a là aucun jugement de valeur.
Le combat, même mené au nom d’une moraline, peut être juste. Certes, déontologies, moralines et morales doivent pouvoir être exprimées
publiquement et certes elles influencent les mentalités, ouvrent des débats et permettent des changements. Mais elles doivent
aussi rester à leur place: des particularismes, parmi d’autres.
Contrairement à la Justice, une star
française, même toutes les stars françaises rassemblées, n’incarne(nt) pas
l’universalisme. Il est important que la République s’en souvienne. La
neutralité de l’Etat en dépend.
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