Greta Thunberg peut-elle parler au nom de la science?
En France, l’Assemblée Nationale a
récemment entendu la jeune Greta Thunberg. Les élus ont, pour la plupart,
applaudi la militante écologiste, y compris lorsqu’elle leur reprochait un
manque de maturité ou de ne pas lire les rapports. Des voix se sont opposées à sa venue
(par exemple parmi les députés ) et/ou à ses propos (par exemple le philosophe Michel Onfray ). A contrario, d’autres intervenants ont salué le discours
tenu et ont défendu l’oratrice ( voir cet article du Courrier International ). Sur les réseaux
sociaux nous avons pu constater, une fois de plus, que ces deux camps ne
dialoguent pas, préférant réciter des crédos et diaboliser l’adversaire.
Pour essayer de déminer le débat, nous aimerions tenter d’examiner les
propos tenus à l’Assemblée et en particulier l’usage de la science comme source de validation de mesures
politiques.
Le discours
Le discours regroupe les arguments
habituels : la production de CO2 est trop élevée, les responsables (politiques,
économiques et des médias) ne veulent pas le voir, pourtant il est urgent
d’agir. Des chiffres en provenance du GIEC ( https://www.ipcc.ch/
) sont mentionnés pour étayer l’affirmation. Greta Thunberg reconnait ensuite
que les députés ne sont pas obligés d’écouter l’enfant qu’elle est mais que,
par contre, ils doivent se plier aux évidences de la science. Se basant sur le GIEC, elle parle alors au nom
de la science pour réclamer des changements.
La logique est simple: puisqu’il y a urgence (climatique), il n’y a pas
de place pour un juste milieu. Autrement dit, il n’est plus question de
réfléchir, il faut agir.
C’est ce renoncement à la raison qui
nous interpelle.
Revenons sur le discours. Mme Thunberg
insiste sur le rapport du GIEC et pose la question, ou plutôt lance le
défi : « existe-t-il un autre
GIEC? Un autre accord de Paris? ». Elle ancre son discours dans sa vision de la
science : « Si vous respectez
la science, si vous comprenez la science, alors tout est dit » (5 m
30), « Les faits scientifiques sont
clairs et nous les enfants, tout ce que nous faisons, c’est de communiquer sur
ces faits scientifiques » (7 m 57)
ou bien encore « Vous avez le
devoir d’écouter les scientifiques et c’est tout ce que nous vous demandons,
unissez-vous derrière les scientifiques ». (10 m 55)
Ce discours présenté de la sorte
devrait récolter l’assentiment général.
Les réactions d'opposition
Alors comment expliquer les réactions,
parfois virulentes, d’opposition ? Il y a une première série d’explications qui
relèvent d’un mépris entretenu par les uns et les autres, notamment via des
attaques ad hominem. Notons par exemple que parmi ceux qui reprochent à Onfray
de s’en prendre à Thunberg, certains n’hésitent pas, à leur tour à sombrer dans
le ad hominem, en salissant Onfray.
Des arguments économiques sont
également servis: un camp affirme que rien ne bouge car le système industriel
veut le statu quo. L’autre affirme que Thunberg est le cheval de Troie d’un autre
système industriel (voire du même sous une nouvelle forme). Pour ces deux
catégories, les mêmes arguments peuvent donc être utilisés et inversés
puisqu’il n’existe pas d’instance régulatrice pour mettre un terme au débat. Ce qui exacerbe les frustrations.
L’appel à la science et donc à la
neutralité de la raison pourrait départager les opposants. Thunberg se réfugie
derrière la science qu’elle pense pouvoir résumer aux rapports du GIEC. Elle
use ainsi d’un argument d’autorité déguisé « Y
a-t-il un autre GIEC? ». L'argument d'autorité est ici une nouvelle source de conflit. Car il
pourrait très bien exister, au même niveau scientifique, un autre GIEC. En
effet, pour rappel, ce dernier est une groupe de scientifiques qui rassemble
des documents et n’entreprend pas lui-même d’études. La spécificité du GIEC ne
provient donc pas d’un haut niveau scientifique (ce n’est pas un centre de
recherche) mais bien de sa reconnaissance officielle par l’ONU. On se
rappellera que le Prix Nobel que le GIEC a reçu est celui de la Paix.
L’argument scientifique
Reste l’argument
rationnel: la science affirmerait l’urgence climatique (avec ou sans le GIEC). Mais ici aussi le débat
reprend car cette assertion (ou son contraire) peut agacer lorsqu’elle est
prononcée par une personne non formée à la science.
Désavouer
cette affirmation, c’est prendre le risque d’être disqualifié dans le rang des
climato-sceptiques. Car le doute, qui pourtant fonde la science cartésienne,
est dévalorisé si pas exclu par l’urgence climatique. Il y a ici un sérieux
problème épistémologique: si la raison doit être mise à l’arrêt par l’urgence du futur,
alors quelle est la validité du raisonnement ? Mme Thunberg ne perçoit pas ce
problème de fond. Pourtant la science moderne ne se construit pas sur des
certitudes ni sur des finalités. Elle est établie par une communauté de
personnes qui utilisent le doute et la raison désenchantée. Ainsi, il nous
semble contreproductif, et dangereux pour la qualité de la science, de
prétexter la science pour justifier un discours politique. Cela n’empêche pas
que les déclarations de Mme Thunberg soient éventuellement pertinentes ni que
les mesures préconisées trouvent un sens social opportun, ce n’est pas notre propos. Mais Mme Thunberg ne nous semble pas habilitée à recourir à la science et il nous semble
normal que des adultes le lui signifient avec bienveillance.
Aussitôt une
question plus inquiétante surgit: qui peut alors invoquer la science pour
justifier des mesures politiques ? L’histoire regorge d’exemples parfois
inquiétants qui devraient nous inciter à la prudence.
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