A-t-on besoin des défenseurs de Carola Rackete ?
La capitaine du navire « Sea-Watch », Mme
Carola Rackete, est donc passée sur le devant de la scène médiatique en
ramenant des naufragés dans un port italien.
Nous aimerions nous interroger sur la pertinence de la récupération
idéologique d’un tel geste. En particulier nous nous méfions des risques de
clivage générés par la moralisation
simplificatrice d’une situation complexe.
Revenons au point de départ: la question des migrants
divise l’Europe depuis longtemps. Cette
division est profonde et complexe pour ceux qui veulent bien prendre la peine
de l’observer. Les arguments proposés
sont très variés et contradictoires. Les principaux thèmes peuvent être
rassemblés: l’impact économique des migrations, l’enrichissement de la culture
et/ou de la religion, le niveau de sécurité, la nation… Pour toutes ces
problématiques, il est possible de trouver des réponses favorables et des
réponses défavorables. Devant une telle gabegie d’informations, y compris de
statistiques plus ou moins rigoureuses, l’esprit critique aura tendance à
établir une généalogie pour saisir les causes de l’immigration. Et là, à
nouveau, la complexité est de mise: conflits intérieurs, guerre d’invasions
(dont certaines menées par l’Occident), persécutions ou difficultés
économiques. Ici aussi on trouvera des
interprétations sur toutes ces causes.
Au choix, on peut nier les unes et accentuer les autres, en fonction des présupposés
politiques, plus ou moins conscients.
En deçà de ces causes, il est encore possible de tirer
des mouvements plus profonds: ceux de l’Histoire ou de la Politique pour les uns, ceux d’une
volonté économico-politique pour les autres. Ici, de la même façon, on trouvera
des arguments défendant toutes les hypothèses. A ce stade il n’existe plus de
statistiques ni d’arguments économico-politiques, mais de l’idéologie voire de
la métaphysique (du matérialisme historique par exemple). Sans compter une
question anthropologique: comment l’homme se construit-il en interagissant avec les autres hommes ?
Cette approche généalogique prend beaucoup de temps et
nécessite une volonté critique qui impose la prise de recul. A côté de cette
démarche, il existe une autre solution, plus agréable et plus rassurante: se détourner de l’explication rationnelle pour se
concentrer sur le caractère moral de l’événement. La question devient: est-ce
bien ou mal ? La capitaine a-t-elle posé un acte bon en sauvant les naufragés ?
En ces termes, la problématique, à l’origine complexe, se réduit à: êtes-vous
gentil ou méchant ?
Cette technique, chère aux activistes, conduit à une
réponse évidente. Mais à quel prix ? Fondamentalement elle approfondit le fossé
entre les parties car les nuances sont perdues.
De plus, en subissant la moralisation le discours, les interlocuteurs se voient
attribuer le qualificatif de "bon" ou "méchant". Certains sont donc discrédités pour des raisons non rationnelles, par un camp
qui s’érige en gardien du Bien et qui, au passage, instille une vision
partisane. A court terme, le camp qui s’approprie le Bien se renforce. Mais, en
face, les autres citoyens peuvent se sentir trahis par le coup de force. D’où
l’importance, pour éviter la macération du ressentiment, que l’Etat garantisse la neutralité. En
l’occurrence ici la capitaine doit passer devant la Justice pour établir le
déroulement physique et légal des faits. Il est aussi souhaitable que les
médias traitent la situation avec un maximum d’objectivité et ne se limitent pas à la réductrice et clivante question morale mais tentent
d’établir un dialogue basé sur la raison plutôt que sur les passions.
Déplaçons-nous dans les montagnes. Si un passage est
trop complexe mais que des téméraires s’y aventurent tout de même, comme c’est
le cas lorsque des novices tentent un hors-piste dans la tempête, les
sauveteurs s’activeront pour les
secourir. C’est humain et c’est le rôle
de l’Etat. Le citoyen pourra saluer le courage des guides de montagne et/ou pointer
l’inconscience des naufragés. Ensuite, la réflexion conduira les autorités à modifier les
balises ou à mieux éduquer les touristes, ou à augmenter le nombre
d’hélicoptères … ou pas. C’est ce que nous avons appelé la démarche
généalogique. L’approche morale utiliserait
ce fait divers pour se poser des questions
du genre: est-il bien ou mal de pratiquer le hors-piste ? Et surtout: est-il
bien ou mal d’exercer la profession de sauveteur ?
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