jeudi 4 juillet 2019

A-t-on besoin des défenseurs de Carola Rackete?


A-t-on besoin des défenseurs de Carola Rackete ?

La capitaine du navire « Sea-Watch », Mme Carola Rackete, est donc passée sur le devant de la scène médiatique en ramenant des naufragés dans un port italien.  Nous aimerions nous interroger sur la pertinence de la récupération idéologique d’un tel geste. En particulier nous nous méfions des risques de clivage générés  par la moralisation simplificatrice d’une situation complexe.

Revenons au point de départ: la question des migrants divise l’Europe depuis longtemps.  Cette division est profonde et complexe pour ceux qui veulent bien prendre la peine de l’observer.  Les arguments proposés sont très variés et contradictoires. Les principaux thèmes peuvent être rassemblés: l’impact économique des migrations, l’enrichissement de la culture et/ou de la religion, le niveau de sécurité, la nation… Pour toutes ces problématiques, il est possible de trouver des réponses favorables et des réponses défavorables. Devant une telle gabegie d’informations, y compris de statistiques plus ou moins rigoureuses, l’esprit critique aura tendance à établir une généalogie pour saisir les causes de l’immigration. Et là, à nouveau, la complexité est de mise: conflits intérieurs, guerre d’invasions (dont certaines menées par l’Occident), persécutions ou difficultés économiques.  Ici aussi on trouvera des interprétations  sur toutes ces causes. Au choix, on peut nier les unes et accentuer les autres, en fonction des présupposés politiques, plus ou moins conscients.
En deçà de ces causes, il est encore possible de tirer des mouvements plus profonds: ceux de l’Histoire ou de la Politique pour les uns, ceux d’une volonté économico-politique pour les autres. Ici, de la même façon, on trouvera des arguments défendant toutes les hypothèses. A ce stade il n’existe plus de statistiques ni d’arguments économico-politiques, mais de l’idéologie voire de la métaphysique (du matérialisme historique par exemple). Sans compter une question anthropologique: comment l’homme se construit-il en interagissant avec les autres hommes ?



Cette approche généalogique prend beaucoup de temps et nécessite une volonté critique qui impose la prise de recul. A côté de cette démarche, il existe une autre solution, plus agréable et plus rassurante: se détourner de l’explication rationnelle pour se concentrer sur le caractère moral de l’événement. La question devient: est-ce bien ou mal ? La capitaine a-t-elle posé un acte bon en sauvant les naufragés ? En ces termes, la problématique, à l’origine complexe, se réduit à: êtes-vous gentil ou méchant ?
Cette technique, chère aux activistes, conduit à une réponse évidente. Mais à quel prix ? Fondamentalement elle approfondit le fossé entre les parties car les nuances sont perdues.  De plus, en subissant la moralisation le discours, les interlocuteurs se voient attribuer le qualificatif de "bon" ou "méchant". Certains sont donc discrédités pour des raisons non rationnelles, par un camp qui s’érige en gardien du Bien et qui, au passage, instille une vision partisane. A court terme, le camp qui s’approprie le Bien se renforce. Mais, en face, les autres citoyens peuvent se sentir trahis par le coup de force. D’où l’importance, pour éviter la macération du ressentiment, que l’Etat garantisse la neutralité. En l’occurrence ici la capitaine doit passer devant la Justice pour établir le déroulement physique et légal des faits. Il est aussi souhaitable que les médias traitent la situation avec un maximum d’objectivité et ne se limitent pas à la réductrice et clivante question morale mais tentent d’établir un dialogue basé sur la raison plutôt que sur les passions.

Déplaçons-nous dans les montagnes. Si un passage est trop complexe mais que des téméraires s’y aventurent tout de même, comme c’est le cas lorsque des novices tentent un hors-piste dans la tempête, les sauveteurs s’activeront pour les secourir.  C’est humain et c’est le rôle de l’Etat. Le citoyen pourra saluer le courage des guides de montagne et/ou pointer l’inconscience des naufragés. Ensuite, la réflexion conduira les autorités à modifier les balises ou à mieux éduquer les touristes, ou à augmenter le nombre d’hélicoptères … ou pas. C’est ce que nous avons appelé la démarche généalogique.  L’approche morale utiliserait ce fait  divers pour se poser des questions du genre: est-il bien ou mal de pratiquer le hors-piste ? Et surtout: est-il bien ou mal d’exercer la profession de sauveteur ?

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