Voyage en confinitude (11) : La pêche miraculeuse
Le jour se lèvera bientôt, je le sens. Dans
le ciel qui s’éclaircit, je vois passer une multitude de satellites alignés,
qui filent d’Ouest en Est. Le spectacle est prodigieux. Quand mes yeux quittent
le ciel et se reposent sur la mer, des bouées clignotent devant moi, une lampe
verte d’un côté, une rouge de l’autre. Je suis entré dans un chenal qui conduit
sans doute à un port. Je rame un peu plus vite et un courant favorable me
conduit rapidement dans l’abri formé par d’épais murs de pierre. Sous des lampadaires blafards, des bateaux de
pêche sont amarrés ainsi qu’une vedette touristique.
J’encorde mon radeau et je
rejoins le quai par une échelle glissante. Une trentaine de mètres devant moi,
des échoppes sont dressées. Marchands et badauds portent des masques et restent
à l’écart les uns des autres. Cependant une animation bruyante règne sous les
toiles. Aiguisé par la curiosité, je m’approche. Des regards
désapprobateurs me criblent: on me fait sentir que je ne porte pas de masque.
J’essaye de me faire tout petit pour ne pas trop attirer l’attention et me
glisser tout de même devant les étals. A ma grande surprise le premier est vide. Les caisses en bois ne contiennent
absolument rien. Ce qui n’empêche pas le marchand de faire la réclame pour ses
produits. Je passe au deuxième ouvroir qui ne recèle rien de plus. Pourtant des
personnes se penchent et achètent je ne sais quoi. Une femme dont je ne vois
que les grands yeux, à cause de son masque bleu, m’attire sur le côté et
s’étonne: « Vous semblez surpris devant nos échoppes. » Je hausse les
épaules: « Celles que j’ai vues sont vides. » Elle me demande de la
suivre à l’écart: « Vous n’êtes vraiment pas d’ici vous, toutes les
échoppes sont vides évidemment. » Devant mon air ahuri elle désigne
l’immensité de la Mer Inconnue devant nous: « N’est-ce pas ce que vous
cherchez? Le néant? Et bien c’est ce que tout le monde vend et achète ici: le
néant. » Je lui avoue ne pas comprendre, elle m’entraine alors d’un bon
pas vers un autre secteur du port, près d’un autre attroupement. Au centre, des
pêcheurs lancent leurs filets vers le sol et tout autour d’eux, des gens les
encouragent. Nous traversons le cercle extérieur et nous nous retrouvons
derrière un marin qui projette un filet sur le sol nu. Des gens crient tout
autour de moi. La femme se penche vers mon oreille et affirme: « Au
centre, c’est le néant que vous cherchez depuis si longtemps. Il n’y en a
presque plus d’ailleurs, ce sont les derniers exemplaires. La pêche est
presque finie. Le soleil se lèvera bientôt » Les filets tombent sur le
sol, les uns sur les autres puis ils sont tirés sur les côtés. Une cloche
résonne. En quelques minutes à peine tout ce petit monde se disperse, les
marins pêcheurs remontent dans leur chalutier et les visiteurs, les bras
chargés de paniers, prennent place à
bord du bateau touristique. J’avance jusqu’au centre de la place. Je frotte mes
pieds sur le sol, une poussière s’en détache. J’agite légèrement la tête de
gauche à droite. La femme s’enthousiasme: « Oui! Vous avez raison, il en
reste un peu! Vous pouvez l’attraper! » Elle doit être folle, il n’y
a rien sur le sol à mes pieds. Elle rit: « Vous ne pouvez pas pécher avec
votre pied. Vous devez bien avoir une épuisette ou quelque chose de ce genre
sur le radeau. Allez la chercher. » Cette proposition est tellement
absurde que j’accepte de me rendre sur mon embarcation et je reviens avec ma
rame. La femme exulte: « Vous avez eu une bonne idée! Regardez, le néant
est exactement là, frappez vite ». Bien entendu je ne vois rien sur le sol
mais je frappe trois fois. Elle me dit d’arrêter, que je tiens dorénavant le
néant sous ma rame. Je reste bêtement dans la position, la rame contre le sol.
La femme enlève son masque, son sourire est radieux: « Alors que
voyez-vous maintenant? Voyez-vous le virus piégé sous votre rame? ». Je suis
éberlué, je n’ose pas relâcher la pression et je continue à écraser la rame
contre le sol. Je dois me rendre à l’évidence: « Je vois une rame, rien
d’autre. » La femme: « Vous ne voyez pas une rame. Ce n’est pas
n’importe quelle rame. » Je relâche enfin ma pression sur le manche: « Non,
en effet, je vois ma rame, celle avec laquelle je suis venu sur la Mer de
l’Inconnu. » La femme remet son masque et me fait signe au revoir. Avant
de se retourner et de partir elle dit encore: « Et si vous aviez eu un
filet, à votre avis, qu’auriez-vous vu ? »
Elle me laisse seul avec sa question.
Perdu dans mes pensées, je retourne vers mon radeau. Je suis encore sur le quai
lorsque le pilote du bateau touristique
m’apostrophe. Il souhaite que je déplace mon embarcation car il doit manoeuvrer.
Je discute un peu avec lui. J’apprends que le bateau doit se diriger vers l’Ile
du Totem mais le commandant ne désespère pas de d’abord croiser le dragon
marin. Ce dernier a été signalé à hauteur des anciens forts militaires et des
éoliennes situées à côté.
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