samedi 4 avril 2020

Confinement, télédeuil et confinitude


Confinement, télédeuil et confinitude


Le confinement rassure et angoisse à la fois. La pandémie charrie la peur et colporte les propos les plus délirants comme les plus sérieux. J’ai été longtemps tétanisé intellectuellement par cette crise. Puis j’ai cherché à comprendre pour quelles raisons je demeurais sidéré. Et si cette pandémie déshumanisait la mort en écrasant le temps du deuil, lui-même réduit à du télédeuil. Le confinement nous conduit alors à la confinitude : être relégué aux confins du néant.

Le confinement se construit sur les mots « cum »  et « finis ».  Etre confiné, c’est être renvoyé aux confins du monde, contre les frontières, contre les barrières, là où la terre plonge dans l’inconnu. Que l’on pense au Finistère. Je suis resté prostré longtemps dans ce confinement.

Naissance de l’angoisse

La peur initiale nait d’un inconnu venu de Chine: un être minuscule dont on ne sait s’il fait partie du règne des vivants ou pas. Un ennemi qui est réduit à des statistiques, à quelques observations, à quelques hypothèses bien trop récentes pour avoir déjà une validité scientifique avérée. Et qui se prête donc à toutes les spéculations, dont les réseaux sociaux s’emparent aussitôt pour les acheminer vers un marché de l’information plus dérégulé que jamais, donc anxiogène.
Sur cette connaissance scientifique balbutiante se greffent des décisions politiques contraignantes et une communication dont les enjeux profonds nous échappent. Les propos sont-ils exagérément rassurants ou, au contraire, alarmistes ? Tout, et son contraire, est possible. Une propagande à est l’œuvre, c’est de bonne guerre. Devant l’urgence, qui est raisonnablement expliquée par le risque de saturer les hôpitaux, des mesures d’exception sont admissibles. Mais ce type de stabilité politique reste suspecte pour le démocrate.


L’angoisse du télédeuil

Cependant, mon angoisse provient, à proprement parler, du néant. Cette pandémie me déstabilise car elle me plonge, en écrasant le temps, dans l’absurdité de la vie et donc dans celle de la mort.
En effet les décès habituels sont codifiés, ritualisés et socialement balisés. Avec le coronavirus, elles sont vécues en dehors de tout récit apaisant possible. Ces images, ces pensées sont insupportables: un patient arraché à sa famille, conduit dans une chambre stérile, mourant près d’humains qui ne peuvent le toucher, et ensuite soustrait à toute personnification pour devenir un chiffre dans une statistique, être transformé, à la chaine, en poussières puis transporté dans une urne en convoi militaire. La famille  ne peut pas faire son deuil, pas même se réunir ou rencontrer des amis. Le temps du deuil est écrasé. Les proches ne le sont plus que par des écrans interposés. Le deuil est lui-même confiné, réduit à un inhumain télédeuil. Les électrons d’edeuil apporteront-ils une consolation réelle aux familles éplorées ? Tout cela nous conduit directement, dans la tristesse et l’immédiateté, à notre finitude, à la finitude humaine.
Notre finitude nous saute aux yeux, au journal télévisé, devant des images d’une salle d’urgence italienne, devant des malades sous un plastique bleu. Et toute l’absurdité de la vie, de notre vie et de celle des autres, nous étouffe. Nous sommes confinés à cette finitude. C’est ce que j’aimerais nommer la confinitude.

Confiné et confini

Vite, il faut donner de l’oxygène à cet encerclement. Dans ses « premiers principes », Herbert Spencer évoque le développement de la connaissance comme un ballon que l’on gonfle. A l’intérieur, la quantité de savoirs augmente et la surface de contact avec l’extérieur, l’inconnaissable, s’accroit. Pour lui, sur cette maigre enveloppe se trouvent les scientifiques, les philosophes et les théologiens qui parviennent, parfois, à  faire passer des éléments de l’inconnu vers le connu. Et si c’était sur cette paroi que nous nous trouvions dans notre confinitude ? Regarder au-delà, cela nous offrirait alors une chance de saisir le non-être.  Et au-delà de la finitude ou de l’univers, par définition, il n’y a rien. Le coronavirus, avec ou sans confinement, nous invite  à nous asseoir au bord du monde, à ses confins, seuls mais aussi… ensemble.
Et donc, après avoir régulé l’angoisse, ce que l’on pourra saisir, c’est un peu d’inconnu, et même plus précisément d’inconnaissable. Nous ne connaitrons rien de plus sauf peut-être justement que, dorénavant, nous en connaissons un peu moins. Et Nietzsche de sourire « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » (in « Ecce Homo »).

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