Confinement, télédeuil et confinitude
Le
confinement rassure et angoisse à la fois. La pandémie charrie la peur et
colporte les propos les plus délirants comme les plus sérieux. J’ai été longtemps
tétanisé intellectuellement par cette crise. Puis j’ai cherché à comprendre
pour quelles raisons je demeurais sidéré. Et si cette pandémie déshumanisait la
mort en écrasant le temps du deuil, lui-même réduit à du télédeuil. Le confinement nous conduit alors à la confinitude : être relégué aux
confins du néant.
Le
confinement se construit sur les mots « cum » et
« finis ». Etre confiné, c’est
être renvoyé aux confins du monde, contre les frontières, contre les barrières,
là où la terre plonge dans l’inconnu. Que l’on pense au Finistère. Je suis
resté prostré longtemps dans ce confinement.
Naissance de l’angoisse
La
peur initiale nait d’un inconnu venu de Chine: un être minuscule dont on ne
sait s’il fait partie du règne des vivants ou pas. Un ennemi qui est réduit à
des statistiques, à quelques observations, à quelques hypothèses bien trop
récentes pour avoir déjà une validité scientifique avérée. Et qui se prête donc
à toutes les spéculations, dont les réseaux sociaux s’emparent aussitôt pour
les acheminer vers un marché de l’information plus dérégulé que jamais, donc
anxiogène.
Sur
cette connaissance scientifique balbutiante se greffent des décisions
politiques contraignantes et une communication dont les enjeux profonds nous
échappent. Les propos sont-ils exagérément rassurants ou, au contraire,
alarmistes ? Tout, et son contraire, est possible. Une propagande à est
l’œuvre, c’est de bonne guerre. Devant l’urgence, qui est raisonnablement
expliquée par le risque de saturer les hôpitaux, des mesures d’exception sont admissibles.
Mais ce type de stabilité politique reste suspecte pour le démocrate.
L’angoisse
du télédeuil
Cependant,
mon angoisse provient, à proprement parler, du néant. Cette pandémie me
déstabilise car elle me plonge, en écrasant le temps, dans l’absurdité de la
vie et donc dans celle de la mort.
En
effet les décès habituels sont codifiés, ritualisés et socialement balisés.
Avec le coronavirus, elles sont vécues en dehors de tout récit apaisant
possible. Ces images, ces pensées sont insupportables: un patient arraché à sa
famille, conduit dans une chambre stérile, mourant près d’humains qui ne
peuvent le toucher, et ensuite soustrait à toute personnification pour devenir
un chiffre dans une statistique, être transformé, à la chaine, en poussières
puis transporté dans une urne en convoi militaire. La famille ne peut pas faire son deuil, pas même se
réunir ou rencontrer des amis. Le temps du deuil est écrasé. Les proches ne le
sont plus que par des écrans interposés. Le deuil est lui-même confiné, réduit
à un inhumain télédeuil. Les
électrons d’edeuil apporteront-ils
une consolation réelle aux familles éplorées ? Tout cela nous conduit
directement, dans la tristesse et l’immédiateté, à notre finitude, à la
finitude humaine.
Notre
finitude nous saute aux yeux, au journal télévisé, devant des images d’une
salle d’urgence italienne, devant des malades sous un plastique bleu. Et toute
l’absurdité de la vie, de notre vie et de celle des autres, nous étouffe. Nous
sommes confinés à cette finitude. C’est ce que j’aimerais nommer la confinitude.
Confiné
et confini
Vite,
il faut donner de l’oxygène à cet encerclement. Dans ses « premiers
principes », Herbert Spencer évoque le développement de la connaissance
comme un ballon que l’on gonfle. A l’intérieur, la quantité de savoirs augmente
et la surface de contact avec l’extérieur, l’inconnaissable, s’accroit. Pour
lui, sur cette maigre enveloppe se trouvent les scientifiques, les philosophes
et les théologiens qui parviennent, parfois, à
faire passer des éléments de l’inconnu vers le connu. Et si c’était sur
cette paroi que nous nous trouvions dans notre confinitude ? Regarder au-delà, cela nous offrirait alors une
chance de saisir le non-être. Et au-delà
de la finitude ou de l’univers, par définition, il n’y a rien. Le coronavirus,
avec ou sans confinement, nous invite à
nous asseoir au bord du monde, à ses confins, seuls mais aussi… ensemble.
Et
donc, après avoir régulé l’angoisse, ce que l’on pourra saisir, c’est un peu
d’inconnu, et même plus précisément d’inconnaissable. Nous ne connaitrons rien
de plus sauf peut-être justement que, dorénavant, nous en connaissons un peu
moins. Et Nietzsche de sourire « Ce
n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » (in « Ecce
Homo »).
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