samedi 25 avril 2020

Voyage en confinitude (6) : La Mer des Rêves


Voyage en confinitude (6) : La Mer des Rêves


Mon radeau glisse sur la Mer de l’Inconnu. Après une demi-journée de navigation sans encombre, un cone étincelant se détache à l’horizon. Sa forme me rappelle la tête du dragon. J’hésite un instant. La peur s’instille en moi mais, en même temps, la curiosité me pousse. Je rame donc vers le code qui scintille d’un éclat doré. Il est surmonté par trois grands ballons blancs et la partie inférieure est constitué par un boudin gonflable. Je reconnais alors une capsule spatiale Apollo tel qu’elle se présente lors de son amerrissage. Ce nouveau prodige m’amuse, j’ai toujours aimé cette période de l’histoire technique de l’Humanité. Comme un enfant je me précipite vers la capsule. Je me souviens avoir vu le canot pneumatique des plongeurs militaires venir ouvrir la porte. C’est ce que je fais depuis mon radeau. 



A ma grande surprise un couple est installé à l’intérieur. Ils sont enlacés. Je recule pour ne pas les déranger mais ils m’invitent à entrer et à m’asseoir près d’eux. L’homme se présente, il est docteur dans un hôpital de New York, la femme est chercheuse à Paris. Ils rient en constatant qu’ils ne se connaissent pas.  Ils ne savent pas non plus où ils se trouvent. Je leur apprends qu’ils flottent sur la Mer de l’Inconnu. L’homme s’étend: « Quel bonheur! L’Inconnu avec une belle femme à mes côtés ».  La femme agite sa crinière rousse qui vient glisser sur le satin de sa nuisette. Je constate alors qu’elle porte un string qui complète avec bonheur sa tenue, véritable écrin pour son corps. Elle ne prête guère attention à ma présence. Le docteur par contre semble l’attirer. Elle le supplie: « Combien de temps cela dure-t-il? » Il regarde sa montre: « Quelques minutes, au maximum, mais c’est l’extase. » Ils commencent alors leurs ébats. Je n’ai pas envie d’y assister mais je suis subjugué par la beauté de cette femme sortie de nulle part. Ils sont beaux, ils dégagent un bonheur infini, une humanité insondable. Ils ne font pas seulement l’amour, ils sont l’amour. Les quelques minutes sont déjà passées. Le médecin exulte, ferme les yeux, marmonne quelques mots, et disparait. La chercheuse se tourne vers moi, nue, et vient se lover contre mon corps: « C’était si bon… Et aujourd’hui vous êtes deux… ». Ses mains me fouillent déjà. Mais je n’ai aucune appétence. Comment faire l’amour au coeur du néant? Pourtant l’inconnue sait y faire et sa bouche me fait oublier le Non-Etre. Bientôt je suis paré. Elle sourit. Son corps me réchauffe, sa vie réchauffe la mienne. Elle va… non, nous allons jouir. Mes mains glissent sur son dos, comptent les vertèbres de sa colonne. Ma bouche embrasse son cou, et remonte vers son oreille: « Qui es-tu? » Elle caresse mes épaules, ses grands yeux plongent dans les miens: « Je cherche un vaccin contre la nouvelle maladie. Là, à Paris. Je suis une scientifique renommée.» Mes mains descendent vers ses délicieuses fesses: « Mais que fais-tu ici ? Dans ce lieu sinistre… ». Elle me sourit: « Qu’en sais-je ? Je viens me ressourcer sans doute. Sur la surface du Néant je trouverai de nouvelles idées, pour combattre cette saleté avec une approche plus pertinente. Nous ne savons pas encore ce que nous combattons. Où veux-tu trouver la solution ailleurs qu’ici ? »  Ses cuisses sont si douces, j’aimerais encore les toucher mais en une fraction de seconde la femme disparait à son tour. Le médecin réapparaît, il ironise en me voyant: « Ah! Il n’y a plus que vous ici. Je n’ai rien contre vous, mais je préférais la femme… » Je réajuste ma tenue. Le médecin sourit et s’allonge: « Je suis fatigué vous savez. Je dois dormir. Et pour me reposer je viens ici. Dans quelques minutes, mon réveil sonnera et je retournerai à l’hôpital. Je me suis endormi dans une des chambres. Je fais le maximum. Mais c’est pénible, pour les patients, pour les familles, pour mon équipe… pour moi. » Je joins mes mains et je répète je ne sais combien de fois: « Merci. » Il opine de la tête. Il se lève, ouvre l’écoutille et regarde la Mer de l’Inconnu: « Voilà donc ce qui nous fait si peur à tous. La dernière fois que j’ai dormi, mon rêve m'a emmené sur une île avec un totem. Il y avait une foule de gens, des médecins, des chercheurs, des curés… mais pas la mer. On m’a fait entrer dans une sorte de cellule. Je pouvais m’y reposer mais j'étais enfermé, avec un livre pour seule compagnie. Honnêtement je préfère votre capsule… La Mer de l'Inconnu est plus inspirante finalement. Regardez cette puissance tranquille. C’est plutôt… » Et il disparaît à nouveau. Probablement s'est-il réveillé, là-bas à New York, dans le coin d'une salle d'hôpital. 
J’attends longtemps qu’une autre personne me rejoigne. Mais la magie est terminée. Je sors de l’engin spatial. Et je me plais à penser qu’il revient de la lune. Je lève la tête et, pour la première fois depuis bien longtemps, l’astre de la nuit surgit entre les nuages. Je le sais, la lune est couverte de mers, la Mer des Pluie, la Mer du Froid, la Mer des Crises... Et une face entière est restée inconnue pendant des siècles. Mais l'homme a cherché et l'homme a trouvé. Il y a découvert la Mare Desiderii, la Mer des Rêves.

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